Paris-Turf a 70 ans. À 14 ans je le lisais déjà. À 24 ans j'y suis entré un été pour faire un essai et… j'en suis reparti 35 ans plus tard.
En 1960, à 13 ans, j'avais déjà découvert l'hippodrome de Vincennes, et depuis j'ai la curieuse impression de n'en être jamais ressorti.
Alors, parfois, en y allant aujourd'hui, je vois passer des fantômes, Jamin qui semblait voler à pleine vitesse, Ozo la reine noire, Bellino II pour qui la montée n'était jamais qu'un faux plat, Fakir du Vivier qui dansait sur la piste, Ourasi le faux lent aux accélérations fulgurantes, Ténor de Baune la volonté faite cheval, un grand lévrier nommé Varenne, Ready Cash piaffant au départ comme s'il voulait combattre tout de suite, et tant d'autres.
Mais il faut refermer la boîte aux souvenirs car il convient de faire court, et pour un journaliste le plus dur est de faire court justement. Journaliste, on écrit sur du sable… Alors deux ou trois mots encore avant qu'ils ne s'envolent. Sur de belles rencontres, comme avec Ali Hawas me disant : “La réussite, c'est la rencontre d'un bon cheval avec un homme qui le comprend, qui le sent bien.” Sentir au propre et au figuré car il ajouta : “J'ai eu le nez cassé en faisant de la boxe, et je ne sens plus rien, c'est mon point faible avec les chevaux.”
Ou Henri Levesque m'invitant à dîner le soir de la victoire de Granit dans le Grand Prix à Vienne. Journaliste débutant, je m'étais donc retrouvé à table avec Henri Levesque (n°1 européen), un driver d'exception Gerhard Kruger (entraîneur-driver de Granit) et leurs épouses. J'avais dû être intimidé, mais ils m'avaient mis à l'aise. Et cela s'était très bien passé. Ils avaient dû voir que je n'y connaissais rien mais que j'étais passionné.
Une autre fois, je débarque un matin chez Pierre-Désiré Allaire à Joinville-le-Pont pour voir Fakir du Vivier que j'adorais. Je crois bien que j'étais employé à Paris Turf et pas encore journaliste. Inconnu au bataillon donc. Il aurait pu m'ignorer. Mais, pas du tout, il m'avait offert l'apéritif chez lui et parlé pendant une heure et me disant : “Revenez quand vous voulez !”
Avec Jean-Pierre Dubois, cela a fonctionné tout de suite également, car, chose rare, le succès ne l'a pas changé. Pas dupe, il aime plaisanter pour écarter les flatteurs. Et puis un jour où on venait lui demander une interview pour la télévision, il m'avait dit, preuve de son intelligence : “Je n'aime pas cela mais j'y vais car je ne veux pas les empêcher de travailler.”
En fin de compte, le point commun entre Ali Hawas, Henri Levesque, Pierre-Désiré Allaire, Jean-Pierre Dubois et d'autres (pas seulement des têtes de liste), dont je n'ai pas parlé ici par manque de place, est leur intelligence de la vie. Elle est innée.
À ce sujet, on ne peut pas mieux dire que Woody Allen : “L'avantage d'être intelligent est que l'on peut toujours faire l'imbécile alors que l'inverse est totalement impossible.”
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Reconnu pour ses aptitudes inégalables à identifier, trier, préparer et faire gagner les jeunes chevaux, Philippe Allaire est également célèbre pour son franc-parler et son sens de la formule. Questionné par notre confrère Jacques Pauc sur la manière dont un professionnel de son expérience appréhende les pratiques actuelles du trot à travers son propre parcours, l’homme de Ready Cash répond sans détour. Extraits du numéro 246 de Trot Informations :
Vous aimez « fabriquer » des poulains, les rechercher et les acheter aussi. Pourquoi ?
À mon avis, celui qui ne « fait » pas de poulains a du souci à de faire. S’il attend qu’on lui amène de bons chevaux, il peut attendre longtemps. Donc, il faut aller les acheter ou bien les élever. Or moi, je n’ai qu’une quinzaine de poulinières, donc je dois en acheter, en recruter chaque année. Avec les chevaux de courses, le plus important, c’est le recrutement. Il faut toujours être à la recherche de bons chevaux et se mettre au sulky. Car je ne suis pas un entraîneur de salon. Cela dit, on est parfois déçu par certains poulains, des « morning glory ». J’ai également « attendu » des moyens qui sont restés moyens. L’important est de les courir, là on voit vraiment ce qu’ils valent. Ce sont les plus doués qui font vivre les autres dans une écurie ne l’oublions pas. Dureront-ils tous ? De toute façon, rien ne dure, alors…
Justement, combien en essayez-vous par an au Haras de Bouttemont dont Michel Gougeon avait dit : « C’est un cinq étoiles pour chevaux » ?
Cette année, je devrais en débourrer une trentaine chez moi, auxquels il faut ajouter quatre ou cinq autres chez Fabien Leblond-Maro qui fait du bon travail. De toute façon, je n’ai que soixante-dix chevaux, étalons et poulains compris. Mais, chose importante, je suis désormais chez moi au Haras de Bouttemont. Avant, je louais. Ici, je peux faire ce que je veux. C’est la vente de Tucson qui m’a permis d’acheter ce haras. Au départ, je m’étais dit que c'était « un truc de milliardaire, que ce n'était pas pour nous », car il y avait une piste d’aviation. Mais la région me plaisait et il y avait une rivière. C’est cela qui me plaisait, l’eau, et la proximité de l’autoroute, plus que la maison. Après, j’ai tout fait construire à mon idée dont les lignes droites sur la piste d’aviation (N.D.L.R. : Christophe Toulorge rappellera qu’au Haras de Bouttemont, demeuré trente ans sans chevaux, furent élevés les grands pur-sang Allez France ou Pawnesse et bien avant Poetess, une des rares juments à avoir gagné le Prix du Jockey Club) !
Comment mettez -vous en route vos poulains et comment les jugez-vous ?
Prenons les « G » qui sont chez moi. En mars, on met les poulains aux longues rênes et on les attelle quelques jours, juste pour qu’ils s’en souviennent plus tard. Puis, on les relâche à l’herbage. En août, ils sont rentrés et attelés avant les ventes de yearlings pour que je me rende un peu compte de ce qui me manque. Si je pense manquer de mâles intéressants, j’en achète ou au contraire des femelles. Et si on manque de tout, il faut acheter de tout ! J’ai trois lignes droites de presque 1 200 mètres, une en sable, une en fibrée et une en terre pour l’été. J’ai fait construire aussi une piste ronde de 600 mètres et une piste couverte de presque 400 mètres pour les sortir lorsqu’il y a du mauvais temps ou qu’il fait encore nuit l’hiver. Cela me fait gagner un lot. En août-septembre, mes poulains - les « G » cette année - font environ quatre kilomètres pas vite pour bien se cadencer sur ma piste ronde. Avec parfois un aller-retour sur la ligne droite mais tout doucement, avec un petit bout vite de 100 mètres quand on sent le cheval bien. Mais la ligne droite n’est pas l’idéal pour les jeunes même si mes 2 ans y travaillent déjà. Ensuite, durant l’hiver, ils ne font que du travail foncier, du kilométrage, pas vite. Puis en mars-avril, on commence à accélérer pour les qualifier en juin en général. Les vrais bons ont le « moteur », pas seulement de la vitesse. Avec la vitesse, on peut « bluffer » un peu au début mais, sans la tenue, cela ne dure pas. Cela dit, je n’ai pas l’impression de travailler durement. Les chevaux aiment aussi que l’on varie le menu : aller sur une piste ronde, puis en ligne droite, une autre fois sur la piste en terre, en fibré, celle près de la rivière, aller au pédiluve ou au marcheur dans l’eau comme au haras de Rollon (où,chaque année, Ready Cash va deux fois un mois ), etc. Ils aiment changer d’endroit et même d’écurie parfois (rires). Ce sont des nomades au départ, ne l’oublions pas.
D’ailleurs, vous aviez changé votre méthode d’entraînement à l’époque de Gai Brillant, n'est-ce pas ?
Oui, il y a une vingtaine d’années, j’étais passé à l’interval-training, au fractionné, la méthode d’entraînement des Suédois. Cela avait été très améliorateur comme en athlétisme. J’avais arrêté d’entraîner au compteur (la vitesse) pour entraîner au compte-tour (le kilométrage). C’est moins « agressif » pour les chevaux. Au début, je ne comprenais pas grand-chose avec les boitiers sur les sulkies, les « cardio ». Mes chevaux ne s’arrêtaient pas mais n’accéléraient pas non plus. J’avais failli craquer bien des fois, mais j’ai continué, fait des lignes droites. Puis, c’est venu, voir les réussites notamment de Gai Brillant ou Holly du Locton. On les a fabriqués comme cela, au compte-tour. Il ne fallait pas qu’ils galopent, on travaillait en 1’30’’ à 80 pulsations/minute, puis ils sont passés à 1’25’’ toujours à 80 pulsations/minute, etc. On faisait quatre fois 1 000 mètres ou six fois 700 mètres en ligne droite, avec des temps de récupération d’une minute et demi. C’est important le temps de récupération. Aujourd’hui, avec mes chevaux de tout âge, je fais quatre fois 700 mètres sur ma ligne droite. Mais certains ont compris, comme Dawana, et ne se fatiguent plus trop sur la dernière ligne droite. L’entraînement se fait au feeling aussi bien sûr. J'ai aussi retenu la leçon de mon père et de Léopold Verroken qui disaient : « Il ne faut jamais commencer une journée de travail avec des chevaux moyens ou difficiles, mais toujours commencer par les très bons. Il faut travailler le très bon d’abord, car il ne faut pas s’énerver ». On peut faire les poulains l’après-midi.
Mais, aujourd’hui, on voit des chevaux « s’envoler » déferrés des quatre pieds, montés en avant, etc. Tout a encore changé. En bien ?
La monte en avant, l’interval-training, l’entraînement en ligne droite et le sang américain ont changé la donne, c’est certain. Tout le monde s’en est rendu compte. Le déferrage aussi mais je pense que son interdiction à 2 et 3 ans par la SECF est une bonne chose, car les chevaux étaient « massacrés » à ces âges-là. Je l’avais d’ailleurs dit au début, mais ma voix ne compte pas. En outre, le déferrage des quatre pieds - pas celui des postérieurs qui est une rigolade - fait souvent réaliser des sur valeurs aux chevaux. Cela fausse le jeu, celui de l’élevage également, car la majorité des grands étalons ont montré leur classe jeunes. Et prenons les « B », première génération de trotteurs interdite de courir déferré à 2 et 3 ans, on trouve Bold Eagle, Bird Parker, Belina Josselyn, Bilibili, Billie de Montfort, Brillantissime, Briac Dark, Bellissima France, etc., et la plupart sont encore en piste. On ne peut pas dire qu’il s’agisse d’une mauvaise génération ou d’une génération massacrée. Maintenant, est-ce que les gens se rendent bien compte des exploits que doit faire Bold Eagle avec 350 grammes aux antérieurs pour battre les déferrés ? Concernant l’élevage, on peut enfin noter que Coktail Jet a toujours couru ferré, au moins des antérieurs, Prodigious aussi, Goetmals Wood et Ganymède ferrés, Love You déferré seulement deux ou trois fois dans sa vie, Ready Cash ayant tout gagné ferré des antérieurs.
Or, il s’agit bien des têtes de liste des étalons de ces dernières années, non ? Est-ce un hasard ?
Alors, quand j’entends certains jeunes entraîneurs dire « on va le dégalocher - car ils ne disent même pas déferrer - des quatre pieds et lui mettre des œillères », je me dis que l’on est loin des Soren Nordin, Stanley Dancer, Pierre-Désiré Allaire ou Jean-Pierre Dubois qui se faisaient mal à la tête pour faire ferrer leurs chevaux et trouver le bon tempo."
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