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Un “Bourbon” venu d'Allemagne
Par Pierre CHAMPION | Publié le dimanche 16 décembre 2018
Il délègue le favori, Face Time Bourbon, dimanche, dans le Critérium des 3 Ans. Éleveur du poulain, il en est encore l'un des copropriétaires. Figure du monde du trot, l'allemand Rainer Engelke a choisi la France pour bâtir son élevage. Rencontre avec un homme de cheval passionné et passionnant.
Rainer Engelke n'est pas loin de se sentir davantage normand qu'allemand ! Banquier hambourgeois, il a le trotteur pour passion depuis fort longtemps. Voisin, en Allemagne, de Hans Fromming - fameux driver, triple vainqueur du Prix d'Amérique, avec Nike Hanover (1964), Ozo (1965) et Delmonica Hanover (1974) -, ou encore proche du docteur Kubitza, vétérinaire équin qui œuvra, en son temps, en France, auprès de Jean-Pierre Dubois et Pierre-Désiré Allaire, il a choisi notre pays pour y développer son élevage. Celui-ci prend place dans le département de l'Orne, à Echauffour, près du Merlerault : “La région est l'un des berceaux de l'élevage français, commente Rainer Engelke. Le Haras de Saint-Martin, que j'ai acheté en 1989, à Joëlle Laroche, la sœur de Jean-Pierre Dubois, se situe à proximité des Haras de la Beauvoisinière et des Authieux, site que vient de relancer, avec succès, Élodie Mangeard de Barros. Les terres y sont d'excellence, avec des eaux de source. Le climat est très variable, parfois rude - localement, l'endroit est surnommé la “petite Sibérie” ! -, et contribue, ce faisant, à produire des chevaux solides et résistants. Et, autre élément d'importance, les herbages sont vallonnés, de sorte que les poulains s'y forment favorablement les muscles et le squelette. Le grand éleveur italien, Federico Tesio, qui fit naître Nearco, Ribot et bien d'autres, considérait que les prairies accidentées étaient nécessaires à la bonne croissance des chevaux. Je m'en inspire, comme de ses théories sur les croisements, à l'image de celles de Walter Aston et George Lambton, les conseillers de lord Derby et du vieil Aga Khan. À cet égard, je lis beaucoup. Je suis bibliophile et j'ai soif d'apprendre. J'ai découvert les livres très jeune. Tout y a été pensé, réfléchi, avant nous. Y compris l'élevage, les croisements. Aussi faut-il s'en nourrir. Jean-Pierre Dubois, qui m'a beaucoup influencé en matière d'élevage, est un peu, à sa façon, un livre ouvert. Et il sait une chose : c'est qu'avec les chevaux, on apprend tous les jours. Il n'y a pas de malin, comme on dit par ici ! En vérité, selon le mot du philosophe, on ne sait qu'une chose, c'est qu'on ne sait rien, mais le fait, justement, de le savoir est important. Il faut rester modeste, posé. Ainsi que le disait Schopenhauer, il y a très peu de gens qui savent réfléchir, mais il y a beaucoup de gens qui ont une opinion ; or, c'est si vite fait de se fourvoyer, en particulier avec les chevaux.”
Depuis ses débuts dans l'élevage en France, Rainer Engelke en est à une soixantaine de victoires de groupe avec ses “Bourbon” - une appellation tirée de l'adresse de son pied-à-terre, à Paris, Quai Bourbon -, parmi lesquelles dix de groupe I. Son premier compétiteur classique a été Best Bourbon, au début des années quatre-vingt-dix. Deuxième de Buvetier d'Aunou dans le Prix de Sélection, le fils de High Echelon réussira l'exploit de gagner six semi-classiques - trois dans une discipline et trois dans l'autre - au cours du même hiver. Après quoi, Rainer Engelke devra patienter dix ans pour “sortir” un nouveau performer de grande envergure en Mara Bourbon, à laquelle il doit quatre de ses dix groupes I victorieux, cinq autres étant l'apanage de Qualita Bourbon, sœur cadette de celle-ci, et un autre encore - le dixième - de Face Time Bourbon, dont la grand-mère, Kaméra Bourbon, est une sœur de “Mara” et “Qualita” : “Avec Mara Bourbon, résume Rainer Engelke, nous nous sommes imposés au plus haut niveau à l'étranger, ainsi que dans le Prix des Élites et le Championnat Européen des 5 Ans, à Vincennes. Avec Qualita Bourbon, nous avons gagné le Critérium des Jeunes, le Prix de l'Étoile, le Prix de Sélection, le Grand Prix de l'U.E.T. et le Critérium Continental, avant de prendre la troisième place du Prix d'Amérique. Avec Face Time Bourbon, nous venons de remporter le Championnat Européen des 3 Ans. Dimanche, j'espère, évidemment, le voir doubler la mise dans le Critérium des 3 Ans, dans lequel nous avions été battus par Quaro avec Qualita Bourbon. Une victoire dans le Critérium des 3 Ans serait, pour moi, la consécration. Car, en fin de compte, le Critérium des 3 Ans, c'est notre Derby à nous, trotteurs. C'est la course que tout éleveur rêve de gagner.”
Ses trois meilleurs chevaux à l'instant cités, Rainer Engelke les doit à Etta Extra, jument de grande naissance, qu'il acheta, yearling, à Deauville, dans la perspective d'élevage : “C'était il y a vingt-cinq ans, se souvient-il. J'étais éleveur débutant, en France (N.D.L.R. : car, auparavant, il avait élevé, avec réussite, en Allemagne, en Suède et même aux États-Unis), et je voulais me constituer un cheptel de poulinières triées sur le volet. Etta Extra avait le profil requis, en tant que fille de l'étalon de tête français Florestan et petite-fille du chef de race américain Speedy Crown. Elle avait, en outre, pour grand-mère la championne de Léopold Verroken, Dimitria, une jument pétrie de classe, ayant battu Buffet II dans un mémorable Prix de Sélection et ses meilleurs contemporains européens dans l'Elitloppet, à Solvalla, et dans le Grand Prix de la Loterie, à Naples. Il me fallait cette pouliche. Je n'avais pas le droit de passer à côté. Je l'ai eue, mais j'y ai mis le prix, c'est-à-dire, à l'époque, 430.000 francs (N.D.L.R. : environ 65.000 euros). J'avais dû batailler, notamment, avec Jean-Pierre Dubois et Pierre-Désiré Allaire. Du coup, Etta Extra fit afficher le “top-price” des ventes cette année-là. Parmi les prix élevés, il y avait, parallèlement, une certaine Enfilade, fille de Tarass Boulba et de l'américaine Tableau, qui allait également devenir une matrone, mère, au premier chef, du double vainqueur du Prix d'Amérique Offshore Dream. J'aurais pu acheter celle-ci, aussi, car elle me plaisait.”
Toujours est-il qu'Etta Extra n'a rien à envier à Enfilade, ayant engendré une dizaine de vainqueurs, dont Mara Bourbon (dix-huit victoires et 1,6 million d'euros) et Qualita Bourbon (vingt et un succès et 1,5 million d'euros), mais encore le classique et étalon Sam Bourbon et la valeureuse Kaméra Bourbon, au sulky de laquelle Rainer Engelke a gagné plusieurs tournois d'amateurs, y compris à Paris, avant de la conserver comme poulinière et d'en obtenir la semi-classique Vita Bourbon, devenue la mère de Face Time Bourbon. On soulignera la qualité et l'actualité de la parentèle en relevant que Mara Bourbon et Qualita Bourbon sont les mères respectives, chez Jean-Pierre Dubois, du classique Follow You et du semi-classique Fabulous Wood. Ces deux-là, comme Face Time Bourbon, sont par Ready Cash. De même, Mara Bourbon, Qualita Bourbon et Sam Bourbon sont issus d'étalons de premier plan, à savoir And Arifant, Love You et Goetmals Wood. Le parti de Rainer Engelke a ainsi toujours été d'essayer d'avoir les meilleures poulinières, pour aller aux meilleurs étalons et espérer obtenir les meilleurs résultats : “Ma devise, conclut-il, est anglo-saxonne et se résume comme suit : “Take the best, go to the best and hope for the best” (N.D.L.R. : “Prends le meilleur, va au meilleur et espère le meilleur”). Moyennant quoi, encore une fois, rien n'est moins sûr que l'élevage. Prenez l'exemple de ma génération de “F”. Elle est assez exceptionnelle, avec, non seulement Face Time Bourbon, qui compte huit succès, pour neuf essais, mais Flèche Bourbon, qui a gagné sept fois, en huit sorties, Friendly Bourbon, autre descendant d'Etta Extra, vainqueur à six reprises, en sept courses, et Florence Bourbon, quadruple lauréate, en cinq tentatives. Ils ont été élevés comme les autres, les années précédentes, et proviennent de croisements similaires. Et ils sont meilleurs qu'eux. Allez savoir pourquoi ! C'est là toute l'incertitude de l'élevage.”
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