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Sa Bourbonnaise naquit en 1940 chez Marius Malot dans l’Allier, qui n’est pas vraiment la région la plus réputée pour l’élevage des trotteurs. Elle était le deuxième produit de Beresina II 1’29’’ (par Nenni 1’27’’), une gagnante en province qui engendra seulement quatre femelles, dont Veilleuse Bourbonnaise (d’où Gars Bourbonnais 1’21’’, honorable vainqueur).
Même en examinant sa lignée maternelle un peu plus avant, on ne peut pas dire que l’on est en présence d’une souche de grands vainqueurs, Sa Bourbonnaise 1’23’’ ressortant nettement du lot. Il faut en effet remonter à sa cinquième mère, Gloriette (née en 1884), mère de quatre étalons, pour trouver de la qualité. De son côté, Karoly II 1’24’’, père de Sa Bourbonnaise, montra de la qualité, en remportant les Prix Jacques de Vaulogé et Charles Tiercelin à l’attelage et terminant aussi cinquième du Critérium des 4 Ans (de Kozyr) après avoir fini troisième au monté derrière Karnac dans le Prix de Vincennes. Il participa également sans succès au Prix d’Amérique 1936.
Mort après cinq ans de monte, Karoly II était bien né, car issu de Trianon 1’24’’ qui était un fils du grand étalon Intermède 1’26’’et de la bonne reproductrice Braila 1’30’’. Celle-ci donna aussi le jour à Jakow 1’24’’ et à Riga 1’24’’ (Critérium des 3 Ans) outre Cartacalla 1’32’’ (mère de Jocrisse 1’20’’, 3ème du Prix d’Amérique). Braila était elle-même une soeur de l’excellente poulinière Tradition 1’28’’ (d’où Quel Veinard 1’24’’, bon étalon exporté aux États-Unis, Messidor 1’18’’, lauréat du Prix des Matadors et exporté en Allemagne, etc.) de qui descend le champion Tony M 1’15’’(Prix René Ballière, de France et de Paris, 2ème x 3 du Prix d’Amérique). De cette souche maternelle (Plume au Vent) provient aussi le crack Bellino II 1’13’’ (Prix d’Amérique x 3, Prix de Cornulier x 3).
Un coup de quatre unique.
Sa Bourbonnaise était une petite jument (1,55 mètre environ) qui débuta sa carrière le 13 juin de ses 3 ans sous les couleurs de Paul Périchon. Susceptible au départ, elle montra néanmoins vite de la classe. Paul Périchon avait d’ailleurs confié à Jean-Pierre Dubois qu’à 2 ans il avait essayé Sa Bourbonnaise en 1’28’’ sur un kilomètre sur la piste en herbe de Moulins, alors qu’à l’époque les 2 ans étaient en 1’40’’. Aimé Gauvin, qui a bien connu Paul Périchon, rappelle : « C’était un type formidable, une "pointure". Il était marchand de bestiaux et avait fait fortune en s’occupant d’emmener et de vendre les vaches des châtelains du pays dans les foires et il y avait beaucoup de châtelains dans le Centre… Mais il entraînait et drivait aussi ses chevaux, notamment Sa Bourbonnaise qu’il avait achetée pouliche dans l’Allier. Il a toujours eu de bons chevaux, voir New Hat vers la fin ».
Au sujet de l’achat de Sa Bourbonnaise, Jean-Pierre Dubois raconte : « On m’a expliqué plus tard que Paul Périchon voulait acheter une pouliche dans l’Allier, mais la veuve de l’éleveur de la pouliche en avait deux cette année-là et lui avait dit : "Il faut prendre les deux ou rien". La seconde était Sa Bourbonnaise ».
Raoul Busset connut également fort bien Paul Périchon et Sa Bourbonnaise, car, dira-t-il, « j’allais monter pour lui à l’entraînement. À l’époque, j’étais jeune (15 ans), mais Sa Bourbonnaise était là, je m’en souviens. Elle ne devait pas mesurer plus de 1,54 m. ou 1,55 m. Elle était déjà bonne et courut ensuite à Enghien, Vincennes ayant été fermé pendant la guerre. Paul Périchon était le crack de la région. Il aimait aller acheter des chevaux chez Albert Veslard, voir Chambon (N.D.L.R. : l’un des meilleurs de sa génération à 3 ans sous la conduite de Paul Périchon) qu’il revendit très cher ensuite à René Michel, un client de Charley Mills (trente-cinq millions de francs de l’époque, ce qui correspond environ à un million d’euros de nos jours !). Je me rappelle que Mills était venu essayer Chambon chez Paul Périchon ».
À 3 ans, Sa Bourbonnaise courut sept fois pour cinq victoires (quatre en province et une à Vincennes), une deuxième place et une troisième place. Elle battit notamment Sammy dans le Grand Prix des 3 Ans à Vichy. Paul Périchon devait ensuite la céder à Guy Deloison. « Cela se passa lors d’un repas le jour d’une partie de chasse, raconte Pierre-Désiré Allaire. Ce jour-là, le notaire leur apprit que le bois au milieu de leur chasse où se réfugiait tout le gibier était enfin à vendre. Alors, Guy Deloison dit à Paul Périchon : "J’achète le bois et tu me cède la petite pouliche le prix du bois". » Michel Deloison, cousin de Guy Deloison (agriculteur en Seine-et-Marne), précise : « Guy l’a achetée à la fin de sa troisième année sur les conseils de son entraîneur, Pierre Forcinal, avec qui il était très ami ».
À 4 ans, Sa Bourbonnaise devait s’affirmer comme une championne, remportant le Critérium des 4 Ans drivée par Jonel Chyriacos qui l’entraîna aussi et battit Souarus dans le Prix du Président de la République (montée par Aimable Forcinal) qui s’appelait alors Prix de France et se disputait à Enghien. Elle s’imposa aussi dans les Prix de Sélection et Charles Tiercelin. En neuf sorties, elle signa cinq victoires et trois deuxièmes places. Puis, elle réussit à garder sa suprématie sur ses contemporains en s’imposant dans le Critérium des 5 Ans (avec Pierre Forcinal), le Prix de Normandie (montée par Aimable Forcinal) et le Prix des Centaures. Cette année-là, elle devait également triompher pour la deuxième fois dans le Prix de Sélection et terminer deuxième du Prix de l’Étoile. À ce jour, Sa Boubonnaise reste le seul trotteur français à avoir réussi le coup de quatre dans les classiques attelés et montés : Critérium des 4 Ans - Prix du Président de la République - Critérium des 5 Ans - Prix de Normandie.
À 6 ans, elle dut se contenter d’accessits dans les Prix d’Été (3ème), de Sélection (3ème) et des Centaures (3ème) et devait effectuer sa dernière année de compétition à 7 ans, se classant troisième de Mistero et Quick Star dans le Prix d’Amérique 1947 à Enghien.
Championne sur les pistes, Sa Bourbonnaise n’allait pas tarder à entrer au haras où elle s’affirmera comme une poulinière hors norme, engendrant quatre classiques ayant fait l’arrivée des Critériums (Hermès D, Infante II, Jalna IV et Le Postillon) et une semi-classique (Glamour II).
D’abord Glamour II et Hermès D
En 1947, Sa Bourbonnaise fut présentée à son contemporain Sammy 1’21’’, un cheval très vite « mais manquant un peu de "stamina" (coeur au ventre) », avait dit Charley Mills. Sammy détint le record du kilomètre lancé en France (1’16’’9 en 1946). En 1948 naquit de leur union une femelle alezane nommée Eprunes qui devait trotter 1’40’’ à 2 ans. Cette Eprunes engendra ensuite le classique Lieuvin 1’18’’ (mâle bai d’Uriel), excellent à 2 ans (quatre victoires en cinq sorties dont les Prix Emmanuel Margoutty et Cavey Ainé), puis lauréat à 3 ans du Prix Abel Bassigny avant de terminer troisième de Jokai et Jalna IV dans le Critérium des Jeunes, deuxième des Prix Kalmia et Capucine. Il fut ensuite exporté en Allemagne. Henri Bourrée, qui travailla avec les frères Gougeon chez qui était Lieuvin, se souvient : « C’était un cheval assez petit, plein de sang, fait pour la vitesse, mais qui n’avait pas trop de tenue. C’est Robert Bouisson qui s’en occupait dans l’écurie ».
Puis vint Glamour II 1’20 ’’ (femelle bai foncé), issue de son croisement avec le grand étalon franco-américain Kairos 1’23’’ (The Great Mc Kinney - Uranie). Peu demandé à ses débuts au haras, Kairos avait couru jusqu’à 9 ans, ayant de nombreuses interruptions de carrière, car il souffrait d’un pied (encastelure d’un sabot). « C’était un petit cheval de valeur moyenne », en dira Roger Baudron. Kairos devint néanmoins six fois tête de liste des étalons (engendrant notamment Gélinotte 1’16’’) et un remarquable père de poulinières.
Contemporaine de la fameuse Gélinotte 1’16’’ (Prix d’Amérique x 2), Glamour II révéla de bons moyens à 3 ans, s’imposant à cinq reprises à cet âge à Vincennes, notamment dans le semi-classique Prix Abel Bassigny devant Gutemberg A (handicapé de 25 mètres). Plus tard, à 5 ans, elle gagna de nouveau à Vincennes, avant de donner jour à Palermo 1’23’’, étalon, puis elle fut vendue en Italie. Après elle, Sa Bourbonnaise produisit Hermès D 1’20’’ toujours avec le concours de Kairos.
Alezan avec une liste en tête, Hermès D ne ressemblait pas à sa soeur physiquement. Mais il démontra lui aussi rapidement sa qualité, en s’imposant dans le Prix Kalmia et en terminant troisième du Prix Capucine, avant de jouer de malheur dans le Critérium des 3 Ans. Ce jour-là, drivé par Giulio Bottoni, il s’était en effet imposé, mais fut rétrogradé après enquête à la deuxième place derrière Hérodiade III pour avoir gêné sa rivale dans le dernier tournant !
« Hermès D était un cheval très vite, qui alla gagner en Italie », rappelait Albert Viel. Il remporta aussi le Prix Ariste Hémard et se classa quatrième de Hortansia VII dans le Critérium des 4 Ans, troisième du Critérium Continental derrière le champion italien Oriolo et Hortansia VII, et deuxième du Prix Phaëton. Après cette belle carrière classique, Hermès D devait être acheté par les Haras Nationaux. Il s’affirma comme un excellent sire. On lui doit notamment les Pluvier III 1’16’’ (Prix d’Europe, Championnat du Monde aux USA), exporté en Suède, Parguerrière D 1’17’’ (2ème du Critérium des Jeunes), Quibus V 1’17’’ et Apaty 1’18’’(2ème du Critérium des Jeunes), sans oublier les Oncos 1’19’’, Obéron 1’20’’, Oddi 1’19’’, Panipa 1’17’’, Reza Grandchamp 1’18’’, Ramsès II 1’19’’, Royal Boy V T 1’16’’(exporté en Italie), Rosé d’Anjou 1’17’’(exporté aux États-Unis), Vauclair V 1’18’’, etc.
Mais Hermès D s’est surtout continué en lignée mâle par Nonant le Pin 1’19’’ qui engendra le crack Buffet II 1’14’’ (Prix de l’Atlantique, René Ballière x 2 et Critérium Continental, 2ème du Critérium des 4 Ans), lui-même auteur du champion Ultra Ducal 1’12’’ (Critériums des 3 et 5 Ans, Prix de France, 2ème du Prix d’Amérique). Nonant le Pin produisit aussi l’excellent Hymour 1’15’’ (Prix d’Amérique et de France) et Chablis 1’17’’ (Prix de l’Atlantique). Hermès D sut également briller comme père de mères, avec les Féroé 1’17’’ (2ème du Critérium des 4 Ans), Ephèse 1’17’’, File Droit 1’18’’, Horse Born 1’17’’ (2ème du Critérium des 3 Ans), Querfeu 1’17’’ (Prix de Vincennes), Laudanum 1’20’’(m), L’As d’Atout 1’19’’, Djerba 1’18’’, Dis Lui 1’19’', Damiette P 1’19’’, Ernioco 1’18’’, Infix 1’17’’, etc.
Jalna IV et Glamour II achetées par Henri Levesque
Présentée une nouvelle fois à Kairos en 1952, Sa Bourbonnaise devait mettre bas d’une petite pouliche bai l’année suivante. Elle fut nommée Jalna IV. Précoce, elle montra vite de la classe, s’appropriant le record de France des 2 ans (1’24’’8), gagnant à Enghien et terminant deuxième du Prix Emmanuel Margoutty et troisième du Prix Désiré Cavey à cet âge. À 3 ans, elle confirma sa valeur en remportant le Prix Capucine et en terminant deuxième de Jokai dans le Critérium des Jeunes mais aussi deuxième des Prix Victor Régis et Maurice de Gheest. Plus tard, Jalna IV et sa propre soeur, Glamour II, furent achetées comme poulinières par Henri Levesque.
Son fils cadet, Henry-Louis Levesque, explique : « Jalna IV était une petite jument d’environ 1,56 mètre qui avait de mauvais pieds. D’ailleurs, elle restait ferrée même quand elle était devenue poulinière. Pierre Forcinal, leur entraîneur, avait dit à mon père de garder Jalna IV plutôt que Glamour II s’il voulait se séparer de l’une des deux juments. Plus tard, mon père revendit Glamour II à M. Grassetto qui lui avait déjà acheté Icare IV. Il savait que celui-ci aimait les belles juments et se doutait qu’il préférerait Glamour II à Jalna IV. Glamour II était en effet très belle et beaucoup plus grande (1,63 m.) que sa soeur. Plus tard, Jalna IV produira Roquépine ».
Fils ainé de Henri Levesque, Jean Levesque a lui aussi souvent raconté cette histoire : « Mon père avait acheté les deux juments pour dix millions d’anciens francs, un gros prix à l’époque pour des poulinières (N.D.L.R. : cela correspondrait à 200 000 € aujourd’hui avec l’inflation). Le jour où l’affaire s’était faite, M. Deloison ne semblait toutefois plus trop vendeur. Sentant alors qu’il ne devait pas les laisser passer, mon père avait alors dit banco ».
Jalna IV 1’21’’ - « une demi ambleuse », rappelle Roger Baudron - devait se révéler ensuite elle aussi une grande poulinière, engendrant la fameuse Roquépine 1’15’’ et Ussania 1’18’’ (4ème du Critérium des 5 Ans), « une jument qui mit du temps à bien s’équilibrer, à se cadencer », dixit Henry-Louis Levesque. Ussania (Harold D III) devint la grand-mère de Tak Tak 1’14’’ (3ème du Critérium des 5 Ans), la quatrième mère de Pad d’Urzy 1’12’’ (2ème du Prix de l’Étoile) et la cinquième mère de Volcan d’Urzy 1’13’’ (2ème du Critérium des 4 Ans). Puis sur le tard, Jalna IV donna Eralda 1’22’’(Mario), quatrième mère de Perlando 1’10’’ (Prix de La Haye et de Buenos Aires) et Floresta 1’19’’ (Tidalium Pélo), gagnante à Paris, « une jument spéciale, tournant difficilement à droite comme à gauche ! Il fallait Gerhard Kruger pour s’en servir ! », selon Henry-Louis Levesque.
Mais avant elles, Jalna IV avait donc pouliné de Roquépine 1’15’’ (Atus II), femelle bai de taille moyenne, qui, si elle montra du caractère dans sa jeunesse, se révéla comme une championne exceptionnelle à partir de sa quatrième année, remportant trois fois le Prix d’Amérique, deux fois le Championnat du Monde des Trotteurs aux États-Unis, l’Elitloppet (deux fois), le Grand Prix de la Loterie, outre trois Critériums en France (des 4 et 5 Ans et Continental). « Roquépine a toujours eu besoin de poids (220 grammes aux antérieurs), mais c’était une vraie trotteuse, courageuse, avec un grand mental. Elle s’adaptait à tout », précisa Henry-Louis Levesque. Outre ce palmarès éblouissant, Roquépine sut aussi marquer l’histoire du trotting français en engendrant Florestan 1’15’’ (Prix Kalmann Hunyady, Greyhound Rennen) avec le concours du chef de race américain Star’s Pride 1’12’’. « Florestan ne ressemblait ni à son père, ni à sa mère. C’était un bon cheval mais un peu spécial. Il valait mieux attendre et venir pour finir avec lui », commenta Gerhard Kruger, son entraîneur-driver. Henri Levesque aimait en effet les trotteurs américains et fut un précurseur en envoyant Roquépine outre-Atlantique pour être saillie par Star’s Pride (d’où Florestan) et Ayres 1’13’’ (d’où Granit 1’14’’, « un petit cheval très ambleur », dixit Gerhard Kruger), vainqueur du Prix de la Flèche d’Europe. Acheté par les Haras Nationaux (115 000 €), Florestan devait ensuite réussir comme étalon (Podosis, Passionnant, Quito de Talonay, etc.) et père de mères (Qualita Bourbon, Meaulnes du Corta, Tipouf, Arnaqueur, Leda d’Occagnes, etc.), ayant été six fois tête de liste dans cette catégorie.
Enfin, avec le concours du grand sire Kerjacques, Roquépine donna Hague 1’15’’ (Prix Marcel Laurent, 3ème du Prix de l’Étoile), « une bonne jument qui trottait sans poids », selon Henry-Louis Levesque, elle-même mère de Formose 1’13’’ (5ème du Critérium des 5 Ans) d’où Opium 1’11’’ (Prix Doynel de Saint-Quentin), son seul rejeton. Quant à Ile Marie 1’18’’(Fandango), dernier produit de Roquépine (morte à 13 ans en avortant de Kerjacques), la moins douée des quatre, elle est devenue la grandmère de Jasette 1’12’’.
Infante II son meilleur produit
En 1951, Guy Deloison avait choisi de présenter Sa Bourbonnaise à Hernani III 1’24’’ (Critériums des 3 et 4 Ans, 2ème du Prix de Cornulier), un étalon de grande qualité. Ce grand cheval bai brun aux allures coulantes, réputé pour son courage à la lutte, avait déjà donné les classiques Quinio, Souarus et Atus II. Avec Sa Bourbonnaise, il devait produire une magnifique pouliche bai brune nommée Infante II.
Cette Infante II 1’14’’ fit l’admiration de tous ceux l’ayant vu courir, effectuant une longue et fructueuse carrière de courses dans les deux spécialités, de 2 à 8 ans, montrant comme son père un courage remarquable. Deuxième à Vincennes à 2 ans au monté, Infante II s’imposa rapidement au haut niveau dans cette spécialité, remportant les Prix Ernest Le Comte, de Basly et Louis Tillaye, et terminant deuxième des Prix Hémine et des Élites, et troisième du Prix de Vincennes à 3 ans. Confirmant sa classe à 4 et 5 ans, elle brilla alors particulièrement à l’attelage, gagnant les Prix Ariste Hémard et Pierre Plazen, se classant troisième du Critérium des 4 Ans d’Idumée, puis deuxième du Critérium des 5 Ans d’Icare IV, deuxième des Prix de Croix et Doynel de Saint-Quentin, troisième du Prix du Bourbonnais. À 6 ans, elle défit les meilleurs trotteurs du moment dans le Prix de Bourgogne, terminant troisième de Jamin dans le Prix d’Amérique et deuxième du Prix de France, toujours derrière Jamin, deuxième aussi des Prix de Paris et de Sélection et troisième du Grand Prix d’Été.
L’année suivante, elle alterna attelé et monté, se classant deuxième des Prix de Cornulier et de l’Ile-de-France, quatrième du Prix d’Amérique, troisième du Prix de France et quatrième du Critérium de Vitesse de la Côte d’Azur. Alors qu’à 8 ans, toujours vaillante, elle allait abaisser le record de France des femelles en réussissant 1’14’’9 à Enghien, en terminant deuxième de Jamin dans le Critérium Continental (sur 1 600 mètres… sans autostart) ! Ce fut sa dernière année de compétition.
« Dans un Prix de Cornulier, Infante II, montée par Bernard Simonard, avait vingt mètres d’avance sur le peloton quand elle glissa à cause de la neige (N.D.L.R. : elle termina deuxième). Je m’en souviens bien, car j’ai gagné ma première course pour Bernard, confie André Reine, Infante II a toujours été stationnée à Joinville-le-Pont. C’était Lemoine, le premier garçon, qui s’en occupait. À cette époque, on n’envoyait pas les chevaux à la campagne ou au paddock. Infante II m’avait marqué. » Incontestablement, Infante II fut le meilleur produit de Sa Bourbonnaise et sut briller au haras en engendrant Sabi Pas 1’17’’ (mâle bai brun de Carioca II). Devenu d’un caractère difficile, « Sabi Pas aurait bien pu "déshabiller" un homme dans ses mauvais jours », dira Henry-Louis Levesque. Acheté par Henri Levesque à la fin de son année de 4 ans, Sabi Pas devait ensuite franchir plusieurs paliers, gagnant le Prix Doynel de Saint-Quentin. Il se classa surtout deuxième, battu d’un nez, par Seigneur dans le Critérium des 5 Ans et encore deuxième, tout près de la jeune championne Une de Mai, dans le Prix de Sélection malgré un handicap de cinquante mètres. Gendre de Henri Levesque, Maurice de Folleville le driva et le définit comme « un cheval très froid, trottant sans poids. Son seul défaut était qu’il n’était pas trop lutteur pour finir, mais cela ne s’est pas vraiment retrouvé dans sa production ».
Étalon, Sabi Pas s’affirma vite avec les Eregoya 1’15’’, Epaminondas 1’20’’, Grande Source 1’16’’, Hêtre Vert 1’16’’, Jet de Prapin 1’18’, Jacques des Blaves 1’18’’ et Larabello 1’14’’ (Critérium des 3 Ans). Son meilleur produit fut toutefois le crack Fakir du Vivier 1’14’’ (Critériums des 3 et 4 Ans, Critérium Continental, Prix d’Europe, 2ème et 3ème du Prix d’Amérique). À son tour, celui-ci sut le continuer au haras et devint tête de liste des étalons et grand-père paternel du grand sire Coktail Jet 1’10’’ (Prix d’Amérique, Elitloppet et Critérium des 5 Ans), sept fois tête de liste des étalons. Le propre frère de « Fakir », Jet du Vivier 1’18’’, fut également tête de liste des étalons.
Au haras, outre Sabi Pas 1’17’’, Infante II donna Villaroche 1’19'' (femelle bai brune de Nicias Grandchamp) qui figura avec l’élite de sa promotion au monté (2ème des Prix Léon Tacquet et Auguste François, 3ème du Prix Paul Bastard), « une jument assez grande que l’on avait courue sous la selle où elle trouvait des taches plus faciles qu’à l’attelage. Mon père en avait vendu la moitié au comte Orsi Mangelli et je crois que Villaroche avait eu un produit de Short Stop en Italie », se souvint Henry-Louis Levesque.
Le Postillon et les autres
Après Glamour II, Hermès D, Jalna IV et Infante II, Sa Bourbonnaise devait donner un cinquième trotteur du niveau des meilleurs de sa génération, un mâle bai issu de Hernani III nommé Le Postillon. Celui-ci débuta tardivement, à 4 ans, en province, alignant trois victoires et une place avant de gagner à Enghien. À 5 ans, il monta cependant de plusieurs catégories, terminant deuxième de Le Roi d’Atout D dans le Critérium des 5 Ans et troisième du Prix Pierre Plazen, gagnant encore à Paris à 6 ans avant d’être acheté par les Haras Nationaux. « C’était un bon cheval mais pas un cheval de grande classe. Il avait du caractère aussi », dira Henry-Louis Levesque. Le Postillon engendra Urvick 1’18’’ et Ulster VI 1’18’’, mais surtout Axius 1’15’’ qui se révéla tardivement lui aussi, étant handicapé par des problèmes de pieds. Axius atteignit le plus haut niveau ensuite, triomphant dans le Prix de France (deux fois), n’étant battu que d’un nez dans le Prix d’Amérique 1974 gagné par Delmonica Hanover, avant de finir de nouveau deuxième de Bellino II dans le Prix d’Amérique l’année suivante.
Des autres produits de Sa Bourbonnaise, citons quatre mâles : Kano 1’25’’ (Kairos), gagnant à Vincennes à 4 ans, Reau 1’24’’ (Carioca II) et Nikao 1’25’’ (Carioca II), tous deux exportés, et Tobago 1’21’’ (Jocrisse), vainqueur à Vincennes à 4 ans, qui ne firent pas de merveilles. En revanche, parmi ses autres femelles, on doit noter la gagnante à Vincennes Majesté III 1’25’’ (une alezane par Atus II) qui devait produire Dammarie Les Lys 1’19’’ (femelle de Seddouk), morte prématurément après avoir montré de la qualité, gagnant à Vincennes à 3, 4 et 5 ans.
Majesté III donna également jour à Boza (une femelle d’Olten L), d’où le classique monté Nozablinski 1’18’’ (2ème du Prix de Vincennes) et Tonga 1’21’’ (femelle de Carioca II), devenue la grand-mère de la classique Neuilly 1’16’’ (Amyot), lauréate
du Critérium Continental, 2ème du Critérium des 3 Ans de Noble Atout. Neuilly produisit Hermès du Buisson 1’13’’ (Buvetier d’Aunou), vainqueur du Critérium Continental, et est la troisième mère d’Olitro 1’11’’ (2ème du Criterium des 4 Ans). Si Neuilly était « une jument très dure », dixit Michel Deloison, « Hermès du Buisson, son fils, était lui aussi un cheval dur, un bon cheval, mais qui ne supportait pas les projections. Je lui avais mis une sorte de masque, avec des lanières de cuir descendant sur le nez pour le Critérium Continental qu’il a gagné. Ensuite, cela avait été interdit et le cheval n’avait plus vraiment réussi », explique Jean-Pierre Dubois. Après Qui Sait III 1’20’’ (femelle bai brune de Carioca II), gagnante à Vincennes à 3, 4 et 5 ans, Sa Bourbonnaise, de son union avec Jamin, produisit Sandra 1’22’’ (femelle alezane), gagnante à Vincennes à 3 ans, avant de donner jour à la classique Natacha du Buisson 1’16’’ (Amyot), lauréate du Greyhound Rennen en Allemagne et 2ème du Critérium Continental en France, « une jument douée mais spéciale qui "tapait" », dixit Michel Deloison. Elle devint la mère de Corot 1’12’’ (3ème du Prix de Sélection, 4ème du Critérium des 3 ans) et la grand-mère de Chaillot 1’13’’ (Prix d’Europe), Mambo King 1’13’’ (Prix Ephrem Houel) et Blue Grass 1’12’’ (2ème du Prix Paul Leguerney).
Plus de soixante-quinze ans après sa naissance, Sa Bourbonnaise est, on le voit, encore présente dans les pedigrees des meilleurs trotteurs du moment. Michel Deloison précise : « Aujourd’hui, j’ai compté pas moins de quarante-deux étalons qui descendent d’elle en lignée maternelle directe ». Poulinière d’élite après avoir été une jument d’élite sur les pistes, chose rarissime, Sa Bourbonnaise était certes de taille réduite (comme les autres matrones Ua Uka et Arlette III), mais elle est bien toujours la petite grande dame du Trot Français.
par Jacques Pauc
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SON PREMIER GROUPE
C'était le 7 juin 2014. Originaire du Centre-Est, j'assistais à la réunion de Feurs, en simultané de celle de Vincennes. Entraîné par Christophe Flirden, Brosses Troubadour participe à son deuxième Groupe 3, à l'occasion du Prix de Gien, dans le Temple du Trot. Après quatre victoires et un premier accessit, cet alezan au crin lavé est le grand espoir de la région. Pour cette occasion, le représentant du Comte Paul de Senneville est confié à Jean-Michel Bazire. Un duo qui nous rappelle bien entendu la victoire française de L'Amiral Mauzun dans l'Elitloppet 2007.
Bref, retour à Feurs. Je traîne dans les écuries, Anthony Tintillier qui fait marcher son cheval m'interpelle : "Qu'est-ce qu'il a fait Brosses ?". Je regarde l'heure sur mon téléphone, la course est partie. Je cours précipitamment vers une télé pour espérer voir la fin de l'épreuve. A l'entrée de la ligne droite, Brosses Troubadour a nettement l'avantage. Puis soudain, vient un "avion" de Jean-Etienne Dubois qui prend aisément la mesure de Brosses Troubadour. C'est à ce moment-là que j'ai découvert le bien nommé, Bold Eagle.
SON PREMIER SEMI-CLASSIQUE
Le 30 août 2014, se déroule la réunion du Critérium des 5 Ans. Fanatique de "ma" région, je prends la direction de Vincennes pour supporter Very Nice Marceaux au départ de ce Groupe 1. Une heure et demi avant cette course, Bold Eagle prend part au Prix Victor Régis. Nonchalant durant le parcours, ce fils de Ready Cash enlève sur sa classe son premier semi-classique. Placé juste derrière la barrière, j'admire le vainqueur sur le chemin du retour des balances : un petit trotteur qui n'est pas encore venu. Je me retourne vers mon père et lui dis : "je crois qu'on a affaire à un drôle de cheval." Le soir même, j'écoute l'interview d'après-course de Jean-Etienne Dubois qui confirme mes convictions : "Bold est venu le faire parce qu'il est très bon mais n'était pas à son top aujourd'hui. Il a sûrement besoin de croissance." Entendre cet homme, qui a déjà marqué les esprits au Trot, tenir des propos aussi élogieux, en dit long sur l'immense potentiel de Bold Eagle.
SON PREMIER PRIX D'AMÉRIQUE
Changement d'entraîneur et de couleurs : Bold Eagle a été acquis par un jeune propriétaire Pierre Pilarski qui l'a confié à Sébastien Guarato. Suite à un Critérium Continental totalement maîtrisé, Bold Eagle affronte les "vieux" à poteau égal pour la première fois de sa carrière, à l'occasion du Grand Prix de Belgique 2016. A la sortie du tournant final, l'aigle ne demande qu'à avancer. Il est décalé par son driver Franck Nivard. Et là, un éclair de classe. Une accélération dévastrice qui laisse sur place ses rivaux, une accélération qui laisse exprimer la joie de son pilote, peu expressif d'habitude, dans la ligne droite, une accélération qui me donne des frissons dans le dos.
Même à la fac, on m'a parlé de cette course : "Bold Eagle les a terrassés", déclare un ancien camarade de classe. Après cette impression folle, moi et mon père décidont de vivre notre premier Prix d'Amérique dans les tribunes de Vincennes. Le nom de Bold Eagle ressort dans tous les couloirs du Temple du Trot, le petit jeune est attendu au tournant. Au moment du dernier virage, la foule commence à s'enflammer, en voyant Franck Nivard pendu sur les rênes de Bold Eagle. Le champion de Pierre Pilarski repart dans la ligne droite, avec un public en délire. Je peux dire que j'y étais, j'ai vécu le premier sacre de ce phénomène !
UNE CARRIÈRE SI BIEN REMPLIE
On connait tous la suite, Bold Eagle est actuellement titulaire de 21 victoires au niveau Groupe 1, dont une Triple Couronne, 4 "René Ballière", 1 Breeders Crown Open Trot au Canada. Du haut de ses 9 ans, ce fils de Ready Cash et Reethi Rah Jet n'a peut-être plus ses jambes de 5 ans mais aura marqué le Trot de son empreinte aux quatre coins de la France et même sur la scène internationale.
Ses deux principaux rivaux dans sa promotion, Belina Josselyn et Bird Parker, sont à la retraite. Bold Eagle est quant à lui encore à la poursuite d'un dernier record : devenir le trotteur français le plus riche de l'histoire. Il ne lui manque plus que 43 114 € à engranger pour atteindre la légende Timoko avec ses 5 006 731 €. Même s'il lui reste 2 ans à courir et peut-être d'autres exploits à réaliser, j'en garderai ce souvenir puissant d'un petit trotteur devenu grand par son talent.
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ivct écrit: LE PHÉNOMÈNE OURASI, UNE ÉPOPÉE - EPILOGUE : L'ÉPILOGUE DE CE CHEVAL DE L'ÉGENDE.
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D'abord, il était petit, 1m58 au garrot, ensuite il y avait la couleur de sa robe, rappelant les chauds couchers de soleil d'été sur les champs de blé. Et puis, il y avait son jeu de jambes. Les jambes, Général les bougeait comme aucun autre, il «tricotait» aussi vite que ma grand-mère l'hiver au coin du feu.
Jules Lepennetier – dit «P'tit Jules» - (paix à son âme) avait reçu ce cadeau du ciel un peu par hasard. L'éleveur, Jean Pichon, n'ayant pas trouvé d'acquéreur en raison de la petite taille du poulain, lui confia donc un peu par dépit la bestiole alors âgée de deux ans. Jules entraînait à Saint James, dans la Manche, tout près du Mont-Saint-Michel qui lui servait souvent de décor quand il se décidait à aller trotter ses chevaux sur la plage. Disons le tout net, Jules était un peu un «ours». Comme bon nombre de terriens, il préférait le silence aux longues envolées lyriques. Et je suis sûr qu'au fond de lui, il savait que la lumière s'éteindrait à la fin de carrière de son crack, aussi vite qu'elle s'était allumée. Il en avait été de même auparavant pour Gégène Lefèvre avec Idéal du Gazeau, lui aussi un habitué de l'ilôt rocheux surmonté de l'abbaye en toile de fond.
Général vole... de succès en succès
Sur la piste, Général ne tarda pas à dévoiler tout son potentiel. Son premier vrai coup d'éclat fut dans le Critérium des jeunes en 1997. Un peu plus d'une année plus tard, un vilain suros l'empêcha de donner toute sa pleine mesure dans le Critérium des 4 ans. Qu'importe, il retrouva vite le cours de ses succès, toujours avec panache et à une vitesse folle. Il avait pour habitude de courir déférré, pratique pas si commune que cela à l'époque, et il donnait l'impression de décoller du sol à chacune de ses battues. Il écrivit ainsi sa légende au fil de ses exploits, et les journalistes (y compris bibi) s'en donnaient à cœur joie avec les jeux de mots, parfois pourris, autour de son nom. Quand il gagna le Critérium Continental en 98, la question d'une participation au Prix d'Amérique le mois suivant fut vite écartée par Jules, qui préférait sagement le préserver.
Box 32
Il fallut donc attendre l'année 2000 pour le voir s'aligner au départ de la grande course. Fraîchement débarqué à Equidia, j'avais sollicité Jules deux semaines auparavant pour faire un reportage à l'entraînement, chez lui, à Saint James. Il avait repoussé mes avances gentiment, mais fermement. Je respectai, un peu amer certes, cette volonté de vie monacale, après tout le coin s'y prêtait (ou s'y prêtresse si j'osais dire...). Le bougre n'aimait pas les caméras et tout le battage qui va avec, on ne pouvait guère le lui reprocher. En revanche, quelle ne fut pas ma déception quand, 3 ans plus tard, le réalisateur Alain Marie sortit le très beau documentaire «Le Général aux pieds nus». Il faut dire que les collectivités territoriales avaient sorti le carnet de chèques et que je n'avais pas les mêmes moyens ni probablement, plus humblement, le même talent...
Mais revenons à ce 30 janvier 2000. Général était évidemment favori. Il fit cavalier seul, sans surprise, mais avec la démonstration de force en plus puisqu'il abaissa le record de la course en 1'12''6. J'ai dû m'égosiller comme jamais en salle de presse, et faire voler quelques programmes et Paris-Turf en guise d'allégresse. Une fois la tension retombée, je me précipitai aux écuries. On avait attribué le box 32 à Jules.
Le Prix d'Amérique 2000 de Général du Pommeau
Ce dernier avait disparu, mais l'amour de cheval était là, ainsi que son lad Guillaume Bernier avec qui j'avais sympathisé. Je crois qu'il compatissait à mon désespoir de tisser un lien, même fragile, avec Jules. Je lui demandai s'il était possible de récupérer un fer d'échauffement du champion. Trop tard, les 4 fers avaient déjà été distribués. C'est alors que Guillaume me dit gentiment : «attends, je vais te chercher quelque chose». Et il me ramena l'un des bouche oreilles du Général. Ce n'était a priori qu'un bout de coton, mais il représentait tellement pour moi. J'ai donc ramené ce bout de coton à la maison et l'ai enfermé précieusement dans une boîte. Je me souviens l'avoir ouverte quand P'tit Jules s'en est allé et je l'ai regardé comme ça quelques minutes l'esprit divaguant. J'ai refermé la boîte et l'ai rangée à sa place. Il va quand même falloir, à la fin du confinement, que je vérifie si ma femme, en mal de rangement, ne serait pas passée par là.... Je ne terminerai pas ce chapitre sans vous avouer, un peu gêné, que nous avions, avec quelques collègues, fêté comme il se doit la victoire au lieu-dit «le sous marin» en bas des écuries. A la suite de ça, je repassai devant le box 32, et me roulai joyeusement dans les copeaux encore présents, au grand amusement de mes compères. S'il vous plaît, chut, taisez cet épisode, merci !
« Le suédois, je vais l'plier ! »
Quelques mois plus tard, Général partit à la conquête des terres vikings. Je pris naturellement mon congé pour aller assister à l'Elitloppet, délaissant ainsi les convenances de la fête des mères, puisque l'Elitloppet a la fâcheuse habitude d'être programmée en ce jour saint. Les tarifs des chambres d'hôtel à Stockholm étant prohibitifs ce weekend là, Air B And B n'étant encore qu'au stade de fœtus, je louai à des gens charmants une chambre d'hôte dans la capitale suédoise. Enfin, quand je dis charmants, en fait je ne les ai pas beaucoup vus.
Le samedi, après les courses, nous nous rendîmes à l'hôtel de P'tit Jules histoire de boire un coup et de taper la discute. Soudain, au cours de la conversation, et alors qu'on analysait ce que pourrait être la course du lendemain, Jules nous sortit avec une assurance pleine de promesses : « Le suédois, j'vais l'plier ! ». Ca nous a fait évidemment beaucoup rire, mais Jules, lui, était très sérieux. Le suédois en question c'était Victory Tilly, un hongre exceptionnel et surtout ultra spécialisé parcours de vitesse. Victory Tilly était en plus supporté par tout un peuple, et entraîné drivé par l'idole de tous les amoureux des courses suédois : Stig Johansson. Nous avons quitté de bonne heure Jules et ses certitudes, l'homme de Saint James voulant aller se reposer. Sur ces entrefaits nous partîmes dîner, sagement je précise. Il faut dire qu'en Suède le prix d'un verre de vin au restaurant est équivalent à un plein de semi-remorque.
Je me souviens de délicieux moments passés avec Jacques Pauc, un puits de science sur la chose hippique. Il avait en mémoire de nombreuses anectodes, qui se terminaient souvent en franche rigolade. Moi , j'écoutais béatement, il faut dire que le grand Jacques savait raconter les histoires. En salle de presse, Jacques inspirait évidemment le respect. Gare à celui qui osait le défier sur le choix de ses pronos, dans ces cas là il pouvait avoir recours à la boîte à taloches. Du respect, j'en avais profondément pour lui. Je pense même que c'était de l'affection. Il y avait aussi Mathias Moncorgé. Je l'écoutais avec amusement parler avec passion des origines des chevaux, alors que les siennes avaient fait rêvé les français des dizaines d'années durant par le biais du grand écran. Mais à ça, personne ne faisait allusion, par pudeur d'abord, et puis parce que Mathias a depuis belle lurette la considération de la famille du trot, eu égard à ses connaissances pointues sur le sujet.
Cette nuit là fut courte, parce que toutes ces histoires étaient encore fraîches dans ma tête, et que, plus concrètement, fin mai à Stockholm, le jour se lève vers 3-4 heures du matin. Sans rideau dans la chambre, l'horloge biologique a des ratés.
Le suédois n'a pas plié !
Le lendemain direction de bonne heure l'hippodrome de Solvalla pour éviter les embouteillages. Il faut dire qu'un grand nombre de suédois campent alentour la nuit et, dès 10 heures à l'ouverture des portes, se précipitent pour choisir la meilleure place possible. Je vous passe l'ambiance, les tambours,
les visages grimés, les odeurs de hamburgers, de saucisses, et de bière fraîche.
La batterie qualificative est proche. Général y doit affronter Victory Tilly dès le début d'après-midi. Les deux n'ont pas été gâtés par le tirage au sort : le 6 pour Général, le 7 pour le suédois. Général déboule comme un diable derrière l'autostart, mais moins vite que Victory, à qui on a l'impression d'avoir greffé une fusée au bout de ses quatre sabots. Stig prend rapidement la tête, Jules reste sagement dans son dos. Les positions restent les mêmes jusqu'au bout.
« Jules, reprends nom de D... »
L'avantage de gagner sa batterie, c'est d'avoir un bon numéro dans la finale. Stig gagne le toss face au lauréat de l'autre batterie (c'était qui?) et s'attribue le 1. Jules a moins de chance, il le perd contre l'autre deuxième et devra s'élancer avec le 4. Mon cœur s'emballe au moment du démarrage de la voiture. Comme il fallait s'y attendre Victory Tilly prend tête et corde. A ce petit jeu là c'est le meilleur. Et voilà mon Jules et sa confiance intacte venir à son extérieur tenter de le faire plier. Il n'en sera malheureusement rien. Vraisemblablement emporté par son ego, Jules reste à la place dite du mort toute la course, suicidaire sur cette piste ! Jamais il n'aura l'idée de se mettre dans son dos pour se laisser une chance, et pourtant l'opportunité est là. J'entends les cris des français tout autour de moi : « Jules, reprends nom de D... », c'est ce que je me dis aussi intérieurement. Victory Tilly, bien évidemment, garde sa place jusqu'au bout et Mon Général s'arrache les tripes pour conserver la deuxième, face, je crois, à Fan Idole.
Revoir l'Elitloppet de l'an 2000
Ainsi se déroula (repassons au passé) cette Elitloppet 2000. Après le poteau franchi, je me souviens que Jules avait serré la main sportivement au grand et malin suédois. Mes rêves étaient brisés, mais pas seulement. Le cœur de Général aussi je crois, car après ça il ne fut jamais exactement comme avant. D'autres après lui en feront l'amère expérience.
Après la course, dans les écuries de Solvalla, un silence pesant envahit la partie réservée au français. Je crois bien que personne n'osa dire à P'tit Jules qu'il avait fait une boulette. Mais sans cela aurait-il pu faire plier le Suédois ? Pas sûr. Alors, vive les courses, vive le sport. On rentre à la maison et on racontera tout ça le jour où un sale virus nous imposera de rester à la maison. Et on relativisera..
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