Les confidences de Guy Roux :
« Mais pourquoi vous venez me voir ? Je ne suis plus coté à l’Argus et je n’intéresse plus grand monde. » Bonnet aux couleurs de l’AJ Auxerre sur la tête, Guy Roux descend de son SUV garé au pied du stade de l’Abbé-Deschamps dont il fut le héros pendant plus de quarante ans (1961-2005) dans le costume d’entraîneur. Après un bref passage dans les locaux pour saluer le personnel et effectuer une séance photo sur la pelouse, l’emblématique coach (85 ans) a convié Le Figaro au Bourgogne, une bonne table où il a ses habitudes et même son portrait au mur. L’œil vif et toujours aussi bavard, devant un verre de chablis, des escargots en godet et un magret de canard aux fruits, l’Auxerrois a, pendant plus de deux heures, livré son regard sur l’actualité du football et distillé quelques souvenirs d’une vie dédiée au ballon rond. Entretien avec une icône.
Que devenez-vous ?
Guy ROUX. - Je vis ma vie de retraité, paisible et au calme. Je n’ai plus que 10 % de l’activité que j’avais comme entraîneur. L’été, je me lève à 7 heures et l’hiver à 8 heures. J’ai un grand jardin et un verger où je peux ramasser mes cerises. J’ai aussi des forêts que je surveille, mais je donne mon bois. J’écoute la radio tous les matins pour les infos et je lis le journal, parce que je continue d’écrire dans le journal local tous les mardis avec un édito sur les sports. J’essaie de parler de tout le monde. Cette contribution permet de donner 5600 € par an à la Ligue contre le cancer. C’est déjà beaucoup d’argent. Mais depuis peu ils l’ont mis sur le web, je ne sais même pas où c’est. Mais je ne m’exprime plus sur l’AJ Auxerre.
Vous n’avez plus aucune fonction à l’AJA…
Je ne m’occupe plus du tout de l’équipe professionnelle, mais je vois tous ses matchs et les entraînements une à deux fois par semaine. Je suis derrière la main courante avec le public. Mais l’entraîneur a décrété qu’il fallait fermer les portes à la veille des matchs, ce que je trouve logique. Les dirigeants m’ont dit que je pouvais venir, mais je préfère ne pas m’inviter… L’équipe (1re de Ligue 2) est proche de la remontée en Ligue 1, je n’y suis pas insensible. Ils font une très belle saison.
Après toute une vie dans le football, quel est votre rapport à ce sport aujourd’hui ?
Je continue à regarder beaucoup de matchs, sept en moyenne par semaine. J’apprécie de regarder le Paris Saint-Germain même lorsque Luis Enrique met tous ses remplaçants. Ce n’est pas que j’aime particulièrement ce club, mais je suis leur supporteur en Coupe d’Europe. Je dois avouer que quand le PSG affronte Brest je suis plutôt supporteur breton.
Quelles grandes équipes vous font rêver ?
Manchester City ne me fait pas forcément rêver, mais elle m’intéresse, car elle joue au foot comme on joue au handball ou au basket avec un principe de possession consistant à dire : « Tant qu’on a la balle on ne peut pas prendre de but. » Et en même temps, ils se disent : « On arrivera bien à leur mettre au moins un but. » Liverpool me plaît davantage quand l’Égyptien (Mohamed Salah) est en forme. Je suis vraiment fan de lui. Il aurait été très bien dans un 4-3-3 à Auxerre.
Kylian Mbappé est la star du football français, que vous inspire-t-il ?
Il concentre tous les regards, mais peut-être que ce ne sera que temporaire… J’espère qu’il est sérieux, qu’il dort le soir et qu’il boit de l’eau. Le foot, c’est simple : entraînement plus repos égale forme. Je disais à mes joueurs : « L’entraînement, c’est moi, mais le repos c’est vous. » Mais cela ne m’empêchait pas de les surveiller.
Mbappé est-il le meilleur joueur du monde ?
Il est formidable, mais encore incomplet. En vitesse de course je lui donne 15/20, en technique générale 16/20, mais en vitesse d’exécution, il monte à 19/20. Il fait les choses plus vite que n’importe qui au monde. Mais c’est un joueur beaucoup moins complet qu’un Pelé par exemple. En revanche, de la tête je lui mets 6/20. Il est nul. Mais il s’en fiche, car il est tellement bon dans le reste…
Par rapport à l’argent, vous gardez l’image d’un homme économe, voire radin…
Je ne le suis pas vraiment en réalité. Je ne suis pas dépensier, mais quand je veux marquer le coup, je ne calcule pas. Avec mon fils et mes petits-enfants si j’ai envie d’aller dans un étoilé à Joigny, j’y vais, même si ça peut me coûter un mois de retraite. Mon image de pingre, c’est une œuvre de Canal+ et des « Guignols ». La première fois que je me suis vu avec ma marionnette, ça m’a contrarié. Mais j’ai assez vite compris que stigmatiser la qualité d’un homme qui savait gérer son argent de manière économe pouvait m’être profitable pour faire la promotion de produit et des publicités. J’ai gagné bien plus d’argent dans les médias et la publicité qu’en étant entraîneur.
Avez-vous un regret dans votre vie d’entraîneur ?
Oui, ne pas avoir gagné la Coupe d’Europe. On a été volé en quart de finale de la Coupe de l’UEFA par les Russes du CSKA Moscou (défaite 4-0 en Russie, victoire 2-0 à Auxerre en 2005). L’arbitre était acheté. Au match retour, je vais vous raconter une anecdote qui pourrait nous valoir la prison (sourire). Après le match aller, j’avais des suspicions et j’ai demandé à un gars de chez nous d’aller fouiller les sacs des arbitres pendant le match. Il revient me voir, blême, et me dit: «Il y a des montres superbes avec des rubis. » J’avais dix minutes pour prendre la bonne décision. Six mois avant ce match, j’avais décidé d’arrêter avec Auxerre, personne ne le savait. Si je décide d’appeler les flics et les instances, on les dénonce, je vais faire virer les quatre arbitres allemands et moi, je serai le gars à l’origine de ce scandale, mais pas la personne qui a fait 894 matchs de Ligue 1 et porter l’AJA en Europe. Je n’ai pas pris la bonne solution. Je n’ai rien dit. Et j’ai été encore plus imbécile en ne piquant pas les montres (rires).
Vous avez côtoyé bon nombre de dirigeants, notamment Bernard Tapie, quels souvenirs gardez-vous de lui ?
On s’entendait bien, cette relation m’amusait, même s’il m’a fait plusieurs entourloupes. J’étais sous le charme, comme les Français, quand il prétendait sauver les boîtes, et avait son émission de télé pour apprendre aux jeunes à se battre. Quand je l’ai côtoyé dans le football, je me suis rendu compte que c’était un peu différent… Il nous a acheté beaucoup de joueurs (Prunier, Boli, Cantona…). Pendant un match très serré et tendu, j’étais à quatre pattes sur la pelouse et je l’entendais mettre la pression sur l’arbitre. Il était derrière moi et me lançait : « Gros con rentre dans ta niche » (rires). Moi, je m’en foutais, j’ai continué. Ce jour-là, je l’ai vu garder l’arbitre une heure dans le bureau. Aujourd’hui, ce ne serait plus possible. Il ne pourrait pas diriger son jeu comme il l’a fait à l’époque. Il devrait être beaucoup plus fin, car il ne passerait plus entre les mailles du filet.
Avec l’AJA, vous avez aussi été proche de Gérard Depardieu. Quelles sont vos relations aujourd’hui ?
Je ne vais pas renier Gérard. Je mets ses affaires de côté. J’ai mon idée personnelle sur le sujet, mais je ne souhaite pas en parler. J’ai le souvenir de Gérard qui venait en tribunes en compagnie d’une grande et belle actrice, Carole Bouquet et son enfant. Pour les besoins du film (Le Plus Beau Métier du monde) Gérard a eu un jour besoin d’emmener sa classe à l’Abbé-Deschamps. On a eu vingt gamins dans le vestiaire venus voir les joueurs et ils ont tout fauché. Mais on ne peut pas engueuler un gars comme Depardieu.
Il accompagnait aussi parfois l’équipe en déplacement…
Je me souviens d’un match à Marseille, il avait assuré notre sécurité avec des molosses de la campagne électorale de Jacques Chirac. Le match de coupe s’est joué aux tirs au but, c’était très tendu. Je n’avais qu’une peur, que mes joueurs soient mis en miettes par des débordements du public. Gérard était même descendu sans rien dire à personne sur la pelouse. Au final, le délégué de la FFF voulait faire un rapport, mais j’ai répondu que je ne connaissais pas cet homme-là. Gérard a toujours été d’une grande gentillesse avec nous.
Il y a aussi cet épisode cinéma où vous étiez consultant technique du film Coup de tête …
Jean-Jacques Annaud ne connaissait rien au football et je lui ai demandé si Patrick Dewaere savait jouer, il m’avait répondu « oui sûrement… ». En fait, il était nul, vraiment nul ! Le plus drôle a été de monter la scène où Dewaere marque un but de raccroc. Annaud m’a dit de me débrouiller. On a fait et refait la scène des dizaines et des dizaines de fois. À minuit, j’étais à plat ventre derrière le but et je lançais le ballon sur son tibia et il a fini par marquer, je ne sais pas comment. Dewaere était un garçon très gentil, mais en pleine déprime, et Annaud s’en souciait. On s’était bien occupés de lui, cela reste un très bon souvenir.
Quelle image aimeriez-vous laisser au football ?
Je m’en fiche. Vous direz ce que vous voulez. Certains se réjouiront de mon départ, d’autres me regretteront. Ce qui me caractérise sans doute, c’est la défense de la vie athlétique du joueur.
C’est-à-dire ?
Les faire dormir et boire de l’eau. Et qu’ils aiment plus les dames après les matchs qu’avant. Le président de l’AJA veut me faire une statue à Auxerre, parce que sir Alex Ferguson et Arsène Wenger en ont une à Manchester et Arsenal. Je lui ai répondu qu’on n’était pas anglais… Cela va surtout servir d’endroit pour que les oiseaux fassent leurs besoins, mais aussi pour mes ennemis, lors des carnavals, les saltimbanques s’y mettront gaiement aussi. Mais j’y réfléchis… Le Figaro Sport