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Magazine La Recherche
Un évènement astronomique planétaire
La détection concomitante des ondes gravitationnelles issues de la fusion de deux étoiles à neutrons et d’un sursaut gamma révolutionne notre connaissance de ces astres denses et de la physique associée.
C’est l’événement astronomique de l’année. Celui qui marque l’entrée dans une science d’un nouveau type : l’astrophysique multi-messagers. Une dizaine d’articles scientifiques ont été publiés aujourd’hui et une cinquantaine d’autres sont en préparation sur ces observations. Ce qu’ont vu les astrophysiciens du monde entier est une première historique au point qu’une dizaine de conférences de presse ont lieu simultanément à travers le monde ce lundi 16 octobre à 16h00 (heure française).
Ce qui a mis la communauté astronomique en émoi est sans doute l’observation conjointe la plus importante jamais réalisée jusqu’à aujourd’hui. Près d’une centaine d’observatoires au sol et dans l’espace rassemblant plusieurs milliers d’astronomes se sont tournés vers la galaxie NGC4993 pour tenter d’observer ce qu’il reste lorsque deux étoiles à neutrons fusionnent. Car c’est de cela qu’il s’agit : la première observation directe de la fin de vie de deux étoiles à neutrons, et cela de manière concomitante avec l’observation d’un flash de rayonnement gamma – un sursaut gamma – provenant du même endroit dans le ciel. Les conséquences de ces observations conjointes sont colossales : non seulement elles mettent fin à plusieurs décennies d’interrogation sur l’origine des sursauts gamma, mais des analyses ont déjà donné de nouvelles informations sur la création des noyaux lourds ainsi que sur la constante de Hubble. Un partie de ces résultats est publié le 16 octobre dans une série d’articles et une cinquantaine de publications sont en préparation.
Reprenons le déroulé des événements. Tout commence le 17 août dernier. Le télescope spatial américain Fermi détecte automatiquement un flash gamma dans son instrument GBM – Gamma Burst Monitor. Ce genre d’alerte est fréquent et aussitôt, comme le veut la procédure, un télégramme astronomique – un CBET dans le jargon – est envoyé. Il s’agit de messages gérés par l’Union astronomique internationale visant à prévenir la communauté astronomique d’un événement qui vient de se produire dans le ciel. Toutefois, la localisation est trop vaste (1100 degrés carrés) pour espérer repérer une contrepartie à ce sursaut gamma. C’est pourtant une quête importante, car repérer un rayonnement rémanant dans le visible ou dans d’autres longueurs d’onde nous renseignerait sur l’événement qui a engendré ce sursaut. En effet, cela reste l’un des grands mystères de l’astronomie : les sursauts gamma, ces brèves bouffées de photons gamma qui apparaissent au hasard sur toute la voûte céleste ont donné lieu à des dizaines de théories différentes. Seule certitude : ils viennent d’au-delà de notre galaxie. Les théories les plus en vogue imaginaient que les sursauts courts – durant entre 0,1 et 2 secondes – résultaient de la fusion de deux étoiles à neutrons, tandis que les sursaut plus longs se produisaient lors de l’explosion d’étoiles dite de Wolf-Rayet. Le flash gamma est également retrouvé dans les données du télescope spatial européen Intégral, mais cela ne permet pas non plus de localisation.
Les systèmes binaires constitués de deux étoiles à neutrons sont des astres connus. Le pulsar binaire PSR B1913+16 situé dans notre galaxie et découvert en 1974 est l’archétype d’un tel objet. Il est constitué de deux étoiles à neutrons qui tournent l’une autour de l’autre en 7 heures 45. Ses découvreurs, les astronomes américains Russel Hulse et Joseph Taylor, ont montré que les deux étoiles se rapprochaient en perdant de l’énergie sous forme d’ondes gravitationnelles, ce rayonnement prédit par Einstein en 1916 et qui se traduit par de minuscules vibrations de la trame de l’espace-temps. Ainsi, en tournant l’une autour de l’autre à grande vitesse, et surtout en accélérant lors de cette rotation, les étoiles émettent des ondes gravitationnelles, et cette perte d’énergie est compensée par une rotation plus rapide du système de sorte que les étoiles se rapprochent l’une de l’autre. On estime que les deux étoiles à neutrons de ce pulsar binaire fusionneront dans 300 millions d’années. Pour leur travail qui fut le premier à confirmer l’existence des ondes gravitationnelles, les deux Américains se sont vu attribuer le prix Nobel de physique en 1993.
Depuis 2015, les astrophysiciens disposent d’instruments capables de voir directement les ondes gravitationnelles lorsqu’elles traversent la Terre : les deux interféromètres de l’observatoire Ligo, aux États-Unis (l’un est à Livingstone, en Lousianne et l’autre à Harford, dans l’État de Washington), et l’européen Virgo, construit près de Pise, en Italie. Ces instruments ont permis de « voir » des trous noirs fusionner. Les trois physiciens instigateurs de Ligo viennent de recevoir le prix Nobel de physique pour cette détection « directe » des ondes gravitationnelles, tandis que les Français Alain Brillet et Thibault Damour, qui ont été la cheville ouvrière pratique et théorique dans l’instrument Virgo, ont reçu cette année la médaille d’or du CNRS. Quatre fusions de trous noirs ont ainsi été détectées jusqu’ici. Pour ce qui est des étoiles à neutrons, la situation est différente : comme ces astres sont moins massifs – plusieurs dizaines de fois la masse du Soleil pour les trous noirs contre environ 1,5 masse solaire pour les étoiles à neutrons – l’intensité des ondes gravitationnelles mises en jeu est plus petite et leur détection plus ardue. En tout cas, pour espérer les déceler, il faut que ces coalescences se produisent bien plus près que celles des étoiles à trous noirs. Jamais, jusqu’ici, un signal émanant de la coalescence d’étoiles à neutrons n’avait été repéré.
Par chance, lorsque le télégramme astronomique tombe, le 17 août, aussi bien Ligo que Virgo ne sont pas en maintenaNce, mais en phase de prise données, qui a duré tout le mois d’août. En regardant les données enregistrées, les astrophysiciens de la collaboration Ligo repèrent, deux secondes avant le moment où le sursaut gamma a été vu dans le satellite Fermi, un signal très fort, typique du passage d’une onde gravitationnelle émise au moment de la coalescence d’étoiles à neutrons.
Sur Virgo, le signal a également été retrouvé dans les données, mais bien plus faible (rapport signal sur bruit de seulement deux). Pourquoi cette différence ? « C’est un problème de configuration géométrique, confie Michel Boër de l’Observatoire de la Côte d’Azur et membre de la collaboration Virgo, le signal est tombé dans un « trou » de l’interféromètre ». Un interféromètre est en effet constitué de deux longues branches perpendiculaires. Si l’onde arrive de la bonne direction, le passage d’une onde gravitationnelle fait varier très légèrement les deux longeurs des branches en opposition de phase (une branche de l’interféromètre est légèrement augmentée tandis que le la branche perpendiculaire voit sa longeur légèrement réduite). « Si l’onde gravitationnelle arrive sur le côté, cela change le déphasage et réduit le rapport signal sur bruit. C’est ce qui s’est passé ici. ». « Même si Virgo tout seul n’aurait vraisemblablement rien détecté, ses données ont permis d’éliminer énormément de régions du ciel pour aboutir à une boîte d’erreur relitivement petite. L’apport de Virgo a donc été essentiel » estime Luc Blanchet, directeur de recherche CNRS à l’Institut d’astrophysique de Paris et spécialiste des ondes gravitationnelles.
En exploitant les temps d’arrivée des signaux sur les trois interféromètres, les astronomes réduisent la zone du ciel à une région qui couvre 30 degrés carrés, dans la constellation de l’Hydre. C’est encore important – 120 fois la taille de la pleine Lune – mais bien inférieur à la valeur déduite du sursaut vu par Fermi. Cette localisation est transmise aussitôt à 90 groupes d’astronomes partenaires pour qu’ils pointent leurs instruments. Douze heures plus tard, le téléscope Swope situé à Las Campanas, au Chili (un petit télescope d'un mètre de diamètre) annonce la découverte d’un nouveau point lumineux dans la galaxie NGC 4993, située à 130 millions d’années-lumière de notre galaxie. Une multitude de confirmations arrivent par la suite, dont celles des télescopes de l’ESO au Chili ou du télescope spatial Hubble. Cette attention généralisée portée à la galaxie NGC 4993 n’était pas passée inaperçue et avait alimenté la rumeur qui a démarré fin août.
L’analyse des spectres lumineux de la lumière rémanante montre qu’elle résulte d’un nouveau type de phénomène baptisée kilonova : le rayonnement qui est observé provient de la désintégration d’ions lourds produits et éjectés lors de la fusion des deux étoiles à neutrons. Des raies d’éléments lourds, comme celles du césium et du tellure, sont mises en évidence par spectroscopie de la source. Or ces éléments ne peuvent pas être produits par des mécanismes standards de nucléosynthèse dans les étoiles, ni par des supernovae. La nucléosynthèse de ces éléments fait intervenir des neutrons rapides, qui sont bien entendu abondants dans les étoiles à neutrons. « Outre le fait d’avoir montré pour la première fois que les kilonovas existent, cette analyse contribue largement à résoudre le problème de la synthèse des éléments lourds dans l’Univers » s’enthousiasme Michel Boër.
Le signal de l’onde gravitationnel a été enregistré pendant une centaine de secondes. La danse des étoiles à neutrons a été captée lorsque les deux astres tournaient l’un autour de l’autre 24 fois par seconde jusqu’à 350 fois par seconde, avant la coalescence finale. Quel est l’astre final? Il y a deux possiblités, soit c’est une étoile à neutrons, soit il s’agit d’un trou noir. « Une étoile à neutrons résultant de cette fusion devraient vibrer légèrement avant de se stabiliser et donc produire, après la coalescence, des ondes gravitationnelles. Comme ces dernières n’ont pas été détectées, c’est une indication que l’on a à faire à un trou noir » estime Luc Blanchet.
En utilisant cette détection et le fait que, lors de la précédente prise de donnée, aucune fusion d’étoiles à neutrons n’avait été vue, les astrophysiciens ont également pu estimer le nombre de tels événéments qui se produisent dans l’Univers. Et ce nombre est consistant avec le nombre de systèmes binaires que l’on connaît. « Mais plus intéressant encore, cette estimation implique que l’on doit s’attendre à pouvoir mesurer un fond stochastique engendré par toutes les coalescences d’étoiles à neutrons qui se sont produites depuis le début de l’Univers » commente Luc Blanchet. Des versions plus évoluées de Ligo et de Virgo devraient pouvoir détecter ce fond d’ondes gravitationnelles.
Nous n’avons évoqué là que les principales conséquences de cette détection historique. Elle a aussi permis d’obtenir une estimation indépendante de la constante de Hubble, qui mesure l’expansion de l’Univers. Cette estimation est encore entachée d’une large barre d’erreur, mais pour ce résultat comme pour tous ceux qui sont en cours, des analyses plus précises des données permettront sans doute d’affiner les modèles. Par ailleurs, les détections routinières de fusion d’astres denses – 2 par an pour les étoiles à neutrons et un par mois pour les trous noirs dans les versions améliorées des détecteurs – fait que les observatoires d’ondes gravitationnelles vont devenir des usines à science. « C’est beau voir toute la science que l’on peut faire avec une seule observation multiple » conclut Thibault Damour.
Philippe Pajot