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" Des ondes gravitationnelles détectées pour la troisième fois : un nouvel exploit
La troisième détection d'ondes gravitationnelles éclaire les probables sites de rencontre pour trous noirs de taille moyenne et donne encore raison à Einstein.
les ondes gravitationnelles, c'est un peu comme si des objets massifs en mouvement faisaient des vagues à la surface de l'espace-temps, tels un caillou jeté dans une mare. Prédites par Einstein, il a fallu attendre un siècle pour que la technologie permette enfin leur détection. Les deux premières fois, il s'agissait de la fusion de trous noirs, qui en formaient un nouveau de taille moyenne. Un événement cataclysmique, comme l'expliquent des chercheurs du MIT : "Ces collisions produisent plus de puissance qu'il n'en est irradié sous forme de lumière par toutes les étoiles et galaxies de l'univers en un instant donné".
Le 14 septembre 2015, les deux observatoires du projet Ligo, aux Etats-Unis, détectaient pour la première fois de l'histoire des ondes gravitationnelles. Un premier événement suivi d'un second à peine deux mois plus tard. Depuis, on attendait la réédition d'un exploit qui ouvrait grand la porte à une nouvelle branche de l'astronomie. C'est désormais chose faite : les responsables de Ligo ont annoncé ce jeudi l'observation d'un troisième événement, à la fois similaire et différent des deux autres.
Les deux premiers trous noirs résultant des fusions détectées en 2015 "pesaient" respectivement 62 et 21 fois la masse de notre Soleil, et se trouvaient à des distances déjà respectables de nous : 1,3 et 1,4 milliards d'années-lumière.
La nouvelle détection, baptisée GW170104, est plus de deux fois plus lointaine, à 3 milliards d'années-lumière. Les deux trous noirs qui ont fusionné, et dont les ondes gravitationnelles ont été captées sur Terre le 4 janvier de cette année, "pesaient" respectivement 31 et 19 fois le Soleil, et ont produit un trou noir final de 49 masses solaires.
Les trois détections effectuées par la collaboration scientifique Ligo (LSC) représentent une nouvelle catégorie de trous noirs dont les spécialistes ignoraient jusqu'alors l'existence, situés entre les trous noirs stellaires "normaux" et les supermassifs. Il y aurait donc une population de ce type d'objet stellaire dans l'univers, que l'on peut désormais détecter grâce aux fameuses ondes. Mais ce n'est pas la seule nouveauté qui vient éclairer notre connaissance des trous noirs et de leur formation.
Lorsqu'on rencontre une paire de trous noirs, tournant autour l'un de l'autre, deux hypothèses sont émises pour expliquer leur origine. La première serait qu'ils sont tout simplement issus d'une étoile double, où chacune se serait transformée en trou noir. Mais dans ce cas, comme le faisaient auparavant les deux étoiles, chaque trou noir tourne sur lui-même avec un axe de rotation situé dans la même direction que celui autour duquel les deux trous noirs tournent autour l'un de l'autre. "Comme une paire de patineurs à glace qui tournent sur eux-mêmes tout en tournant aussi autour l'un de l'autre", expliquent les scientifiques.
Mais dans certains cas, l'un des trous noirs tourne sur un axe différent de l'autre. Et c'est bien ce que les donnés de la nouvelle détection d'ondes gravitationnelles semblent révéler. Dans ce cas, l'hypothèse de la formation simultanée des deux trous noirs laisse la place à une autre, tout aussi intéressante : ces trous noirs stellaires de grande taille seraient nés dans un amas stellaire dense, un endroit où les étoiles sont très proches les unes des autres. Ce serait donc longtemps après leur formation que les deux trous noirs finiraient par se rencontrer, lors de leurs plongeons au centre de ces groupes à grosse densité d'étoiles.
Les données recueillies par Ligo laissent penser que c'est le cas pour GW170104, les axes de rotations des deux trous noirs ne seraient pas alignés. "Les données favorisent légèrement la théorie des amas stellaires denses", déclarent les chercheurs. "C'est la première fois que nous avons une preuve que les trous noirs ne seraient pas alignés, nous donnant juste un petit indice que les trous noirs binaires pourraient se former dans les amas stellaires denses", expliquait Bangalore Sathyaprakash, l'un des éditeurs de l'étude parue ce 1er juin dans le journal Physical Review Letters et co-signée par l'ensemble des collaborateurs du projet Ligo.
Einstein avait (encore) raison
L'observation du 4 janvier semble encore confirmer les prédictions d'Einstein concernant les propriétés des ondes gravitationnelles. Lorsque la lumière traverse un milieu donné, du verre par exemple, elle ne voyage pas à la même vitesse en fonction de ses longueurs d'onde. C'est comme cela que l'on peut la décomposer en arc-en-ciel lorsqu'elle passe au travers d'un prisme. Ce phénomène est connu sous le nom de dispersion.
Mais pour les ondes gravitationnelles, selon la relativité générale, la dispersion ne doit pas se produire. Les observateurs de Ligo ont donc recherché des traces d'un tel phénomène... sans succès. "On dirait qu'Einstein avait raison, même pour ce nouvel événement qui est dans les deux fois plus lointain que notre première détection", explique Laura Cadonati, porte-parole adjointe du LSC. "Nous n'avons pas vu de déviations par rapport aux prévisions de la relativité générale, et la grande distance nous aide à faire cette déclaration avec encore plus de confiance".
Prochaine étape, les étoiles à neutrons ?
Si cette troisième détection d'une fusion de trous noirs est enthousiasmante, l'astronomie gravitationnelle n'en est pourtant qu'à ses balbutiements. Les chercheurs espèrent bien ne pas se "contenter" des trous noirs et détecter d'autres phénomènes. Par exemple, celles émises par les étoiles à neutrons. Ces étoiles hyper-denses (mais pas autant qu'un trou noir) sont le résultat d'explosions d'étoiles géantes, dont le coeur s'effondre sur lui-même.
Pour le Dr Robert Ward, de l'université nationale australienne, l'un des nombreux scientifiques qui ont participé à l'étude, "nous espérons détecter les ondes gravitationnelles continues des étoiles à neutrons, ce qui est une bonne motivation pour développer des technologies avancées [...] pour rechercher ces sources plus faibles d'ondes gravitationnelles". Bientôt, les grandes nouvelles ne concerneront plus les détections d'ondes gravitationnelles, mais les nouveaux événements qu'elles permettront d'observer. "
Jean-Paul Fritz