Périhélie de Tchouri : Rosetta observe de puissants jets de matière
Un an après son arrivée autour de Tchouri, Rosetta et le noyau cométaire viennent de passer le cap du périhélie, le point de son orbite le plus proche du Soleil. Et l'action commence... Des jets de gaz intenses ont été photographiés. L’orbiteur a pu voir aussi des régions de l’hémisphère sud enfin éclairées par le Soleil. Plus de 300 kg de vapeur d’eau et 1.000 kg de poussière sont évacués chaque seconde.
Le 14/08/2015 à 15:56 - Xavier Demeersman, Futura-Sciences
Arrivée le 6 août 2014 dans le giron de la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko – désormais plus célèbre sous son surnom Tchouri –, Rosetta a déjà parcouru au cours d’une année en sa compagnie quelque 750 millions de km, en direction du Système solaire interne. C’est ce jeudi 13 août 2015, à 2 h 03 TU exactement, que le noyau bilobé atteignait le point de son orbite elliptique le plus proche du Soleil (périhélie) : 186 millions de km. C’est certes un petit peu plus que la distance qui sépare la Terre de notre étoile, mais l’énergie croissante reçue ces derniers mois est suffisante pour réveiller l’activité de la comète.
Cette étape est très importante et attendue de longue date par les scientifiques de la mission, curieux de suivre en direct, à l’intérieur même de sa chevelure, ce qui se passe à (et sous) sa surface. Ils ne sont pas déçus d’ailleurs comme en témoignent les images prises une poignée d’heures avant le périhélie, à environ 330 km du noyau, par la caméra à angle étroit Osiris. On y découvre des effusions de gaz plus intenses que d’autres qui rappellent le puissant dégazage observé le 29 juillet dernier.
Comme tous les 6 ans et demi, c’est l’été qui commence pour le noyau : c’est au cours de ce mois qui suit le périhélie que les températures seront les plus élevées. À titre de comparaison, voici un an, il faisait environ -70 °C à sa surface. En avril et mai dernier, on approchait zéro. À présent, l’ambiance est plutôt caniculaire avec quelques dizaines de degrés au-dessus de zéro (30 à 40 °C).
Grosses fuites d’eau et de poussière
Les conséquences sont bien visibles sur les images de Rosetta depuis quelque temps : les jets sont plus intenses et nombreux. Son atmosphère (coma) n’a de cesse de s’étoffer. Mais puisque la sonde spatiale navigue à l’intérieur, les chercheurs font appel aux astronomes amateurs et à plusieurs grands télescopes terrestres pour appréhender l’astre chevelu à de grandes distances. Aux dernières nouvelles, sa queue s’étend sur un peu plus de 120.000 km. Sur les clichés du 4 août réalisés avec le télescope Gemini-Nord, à Hawaï, elle apparait par ailleurs asymétrique.
« La combinaison de ces photos prises par des télescopes terrestres avec l’étude détaillée, par Rosetta, à proximité, des jets individuels et des explosions soudaines va nous aider à comprendre les processus à l’œuvre sur la surface de la comète » explique Nicolas Altobelli, membre de l’équipe scientifique.
Les dernières mesures indiquent que Tchouri perd beaucoup de matière, une centaine de fois plus d’eau qu’il y a un an. Plus de 300 kg de vapeur d’eau par seconde, ce qui représente deux baignoires remplies à ras bord ! Les multiples jets de gaz emportent et essaiment dans l’espace environ une tonne de poussières. Les opérateurs ont été obligés de revoir la navigation de la sonde afin que ses senseurs stellaires ne confondent pas ces flots de particules avec des étoiles. Le risque n'est pas nul puisque l'incident est déjà survenu, ce qui avait désorienté Rosetta. « Ces derniers jours, nous avons été forcés de l’éloigner davantage de la comète, déclare Sylvain Lodiot qui dirige ces opérations à l’Esa, nous sommes actuellement à une distance comprise entre 325 et 340 km ».
Depuis 10 mois environ, certaines régions de l’hémisphère sud de 67P/C-G voient le Soleil pour la première fois depuis plus de 5 ans et demi. L’équipe scientifique a enfin pu découvrir leur géologie et leur attribuer des noms : Anhur, Khonsu, Sobek et Wosret. Il y a désormais 23 régions identifiées pour leurs différentes caractéristiques géomorphologiques (l’Esa vient de lancer Comet Viewer, une application internet interactive pour visualiser Tchouri en rotation et ses régions en 3D).
Rosetta est un peu loin pour communiquer avec Philae
« Nous aimerions bien retourner plus près à nouveau après que l’activité s’atténue et sonder les changements à la surface, confie Nicolas Altobelli. Nous allons aussi continuer d’espérer que Philae sera en mesure de reprendre ses activités scientifiques en surface et de nous livrer un regard détaillé des changements qui se sont sans doute produits autour de son site d’atterrissage [à Abydos, NDLR] ».
Le dernier contact avec l’atterrisseur remonte au 9 juillet. Avec l’éloignement de l’orbiteur, les chances sont plus réduites d’obtenir un nouvel échange. Aussi, les chercheurs se donnent jusqu’à novembre pour y arriver, lorsque la sonde sera de nouveau plus prés (mais le programme peut encore changer) et avant qu’il refasse trop sombre dans la région où est censé se cacher Philae. « Nous ne sommes pas sûrs à 100 % de la localisation et de l’orientation de Philae qui permettent le calcul de variation d’éclairement des panneaux, explique Philippe Gaudon (chef de projet Rosetta au Cnes), qui répond aux questions du Cnes. Il y avait des différences dans l’éclairement des panneaux solaires par rapport aux données récupérées lors du contact du 24 juin et ils [le DLR, Centre spatial allemand, NDLR] l’ont analysé comme une modification de l’orientation de Philae qui aurait pu être provoquée par un léger déplacement, une glissade. De notre côté, au SONC, après avoir analysé en détail les mêmes données, nous pensons que ces modifications peuvent très bien être expliquées par le jeu des ombres engendrées par les rochers voisins sur les différents panneaux solaires de Philae. »
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