Touchant témoignage de Déborah, l'épouse de Jimmy Tastayre, jockey de plat gravement blessé après sa chute en décembre dernier à Deauville.
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La vie bouleversée du jockey Jimmy Tastayre, tombé en course
Tombé le 14 décembre sur l’hippodrome de Deauville, Jimmy Tastayre n’est pas sorti indemne de cette lourde chute. Témoignage de sa femme, Deborah, sur le quotidien de l’ancien jockey.
Par Steavie Doussot, le 5 juin 2020
Assis sur des pur-sang lancés à pleine vitesse, les jockeys exercent un métier très dangereux. En une fraction de seconde, leur destinée peut basculer. Celle de Jimmy Tastayre a viré au drame sur l'hippodrome de Deauville (Calvados) le 14 décembre dernier. Trop dur pour l'homme de 31 ans de parler de sa chute survenue au milieu d'un peloton compact. Son épouse accepte de revenir sur le moment tragique. « Il a été éjecté de sa monture après deux cents mètres de course, décrit Deborah. En tombant sur le sol, il a eu les os de la cage thoracique qui se sont brisés. Sa moelle épinière a été compressée et des morceaux d'os se sont implantés dans celle-ci. Cela a créé une hémorragie interne. » Immédiatement transféré à l'hôpital de Caen, l'infortuné jockey subit une arthrodèse, qui consiste à souder plusieurs vertèbres entre elles avec des vis, des plaques et des tiges métalliques. « Comme nous habitons dans l'Oise, c'était difficile pour moi de faire des allers-retours tous les jours pour lui rendre visite en Normandie. Je l'ai fait rapatrier à Creil avant qu'il rejoigne, deux semaines plus tard, un centre médicalisé de rééducation situé à Bouffémont (Val-d'Oise). Avec la pandémie du Covid-19, je n'ai pas voulu qu'il reste là-bas, car c'était un patient à risque avec tout ce qu'il a eu. Comme Jimmy a eu une compression des poumons, c'était un cas à risque et attraper le Coronavirus lui aurait été fatal. Nous avons préféré qu'il rentre à la maison. »
« Pendant le confinement, j'ai endossé les rôles d'infirmière et de kiné »
Un semblant de retour à une vie normale, mais qui est loin d'être évident au quotidien : « À part moi et ma meilleure amie, personne n'était en contact avec lui chez nous. Pendant le confinement, j'ai endossé, avec l'aide de mon amie, les rôles d'infirmière et de kiné. Ce ne sont pas mes métiers. Cependant, on peut tout faire par amour. Pendant ces deux mois, il a fait de la musculation au niveau du dos, des bras et des jambes chaque jour pendant deux heures. » Deborah doit faire preuve de patience et de courage pour tenir le coup dans ces moments plus que difficiles. « Les améliorations ne vont pas se faire du jour au lendemain. Cela va prendre du temps. Toutefois, il arrive maintenant à ouvrir et fermer ses jambes avec les adducteurs. Sa cicatrice - quatre-vingt-cinq agrafes ont été posées - s'est complètement refermée. Il a aussi récupéré ses réflexes sous les pieds et les genoux. »
Le couple ne sait pas encore combien les progrès de Jimmy seront durables. « Les médecins ne se prononcent pas. Ils disent qu'il faut laisser le temps au temps. Il y a déjà le postopératoire qui dure douze mois. Jimmy pourra peut-être remarcher, mais il n'est plus question qu'il monte un jour à cheval. Sa colonne vertébrale s'est cassée et il va devoir vivre toute sa vie avec des plaques et des vis. » Mais une telle épreuve révèle aussi des forces insoupçonnées. « On travaille dur chaque jour pour nous relever. Nous n'avons pas d'aide psychologique. Franchement, je ne sais pas comment je fais pour être aussi forte. Cela doit être dans mes gênes. » Et la solidarité est une aide précieuse pour vivre cette période du mieux possible. « Heureusement que nous avons notre famille et nos amis. L'association des jockeys est aussi très présente. Thierry Gillet, Stéphane Pasquier et Bertrand Lestrade nous aident beaucoup. Des amis ont également créé très gentiment une cagnotte sur le site Leetchi pour nous aider financièrement. Sinon, comme c'est un accident du travail, les frais médicaux et le matériel sont pris en charge par la MSA. »
« Je ne peux plus regarder une course à la télévision »
Deborah met en garde les amis et ex-collègues de son mari qu'un accident est si vite arrivé. « J'ai également perdu ma meilleure amie, Nathanaëlle Artu, en course. J'aimerais que les jockeys fassent plus attention. Ce n'est pas parce qu'on a l'envie de gagner et besoin d'argent qu'il ne faut pas être prudent dans un parcours. Ils doivent tous se respecter et connaître le code des courses. Par ailleurs, ce sont des sportifs de haut niveau et ils ne sont pas assez reconnus à mes yeux. »
Depuis ce 14 décembre fatidique, la simple vue d'une photo de cheval est difficile pour Deborah, pourtant née dans une écurie. Son père et illustre entraîneur, John Cunnington Jr est issu de « la plus ancienne des familles anglaises qui a importé les chevaux de course en France. » Encore sous le choc de l'accident de son mari, elle doit mettre sa passion en veilleuse. « En ce moment, je ne peux plus regarder une course à la télévision. Je venais d'obtenir mes couleurs de propriétaires et d'acheter un pur-sang. Ma jument a couru après l'accident, mais je n'ai pas pu la regarder. Depuis, je n'ai pas remis un pied sur un hippodrome. » Plus qu'une passion, les courses étaient également une source de revenus pour Deborah. « J'étais agent de jockey et j'ai tout arrêté. Je ne veux pas être responsable de mettre un jockey sur un cheval et qu'il soit victime d'un tel accident. Lundi prochain, je reprends mon métier d'agent immobilier, que j'exerçais aussi en même temps que celui de manager. » Dans le but de construire une nouvelle vie.