Mise à jour et approuvée par le Conseil du Cern le 19 juin, la nouvelle Stratégie européenne pour la physique des particules met l’accent sur la recherche et développement. Objectif : lever les verrous technologiques concernant les cavités accélératrices et les aimants pour construire les machines qui pourraient succéder au HL-LHC. Un collisionneur électron-positon - ou « usine à Higgs » - est envisagé comme une étape intermédiaire avant une machine proton-proton de 100 TeV à horizon 2050.
Le Conseil du Cern a mis à jour le 19 juin la Stratégie européenne pour la physique des particules : une feuille de route qui fixe le cap pour la physique des hautes énergies pour les 20 à 30 prochaines années. En 2013, la précédente mise à jour avait défini comme priorité le projet Haute-luminosité du Grand collisionneur de hadrons (HL-LHC) pour succéder au LHC. Celui-ci se concrétise avec des travaux en cours et une exploitation scientifique prévue de 2027 à environ 2040.
Mais les physiciens pensent déjà à la suite. « Cette nouvelle stratégie était extrêmement attendue, souligne Laurent Vacavant, directeur adjoint scientifique de l’Institut national de physique nucléaire et de physique des particules (IN2P3) au CNRS. Plusieurs options possibles étaient en discussion. C'est une avancée importante d’avoir défini l’ambition claire de conserver au Cern l'exploration des plus hautes énergies, avec l'étude de faisabilité d'un très grand collisionneur de 100 téra-électronvolts (TeV). »
« Usine à Higgs »
Ce nouveau collisionneur proton-proton de 100 TeV, s’il voit le jour, n’entrerait en service que vers 2050. D'ici là, une étape intermédiaire est définie comme prioritaire pour succéder au HL-LHC : la construction d’une « usine à Higgs » dans laquelle des bosons de Higgs serait générés par des collisions entre des électrons et leurs antiparticules - les positons.
Une voie différente par rapport au LHC (et au futur HL-LHC) qui les génère grâce à des collisions entre protons. « Contrairement aux protons, les électrons sont des particules élémentaires, ce qui a deux conséquences heureuses, souligne M. Vacavant. D'abord, l'énergie qui leur a été communiquée par l'accélérateur est entièrement mobilisable pour la collision et est connue précisément. Ensuite, les processus d'interaction électron-positon sont plus simples à modéliser théoriquement et conduisent à des signatures plus « propres » dans le détecteur. Cela permet des mesures plus précises. »
Voie circulaire ou voie linéaire
Plusieurs machines peuvent servir d’« usine à Higgs », et la stratégie européenne se garde de déterminer laquelle choisir. Il peut s’agir de collisionneurs circulaires - comme le LHC - dans lesquels électrons et positons sont accélérés en sens inverse selon des trajectoires courbes avant d’entrer en collision. Mais il peut aussi s’agir de collisionneurs linéaires dans lesquelles une succession de différences de potentiels les accélère en ligne droite.
« Le niveau d’énergie visé pour ces « usines à Higgs » - vers 300 giga-électronvolts (GeV) - se situe dans une zone d'énergies « charnière » dans laquelle les deux voies sont potentiellement intéressantes, explique Jean-Luc Biarrotte, directeur adjoint scientifique en charge des accélérateurs et des technologies à l’IN2P3. C’est pourquoi les deux concepts s’affrontent aujourd’hui. »
La limite du rayonnement synchrotron
L’accélérateur circulaire électron-positon a une limite principale : la perte d’énergie due à l’émission de photons par rayonnement synchrotron lorsque les électrons sont accélérés selon une trajectoire courbe. Le phénomène est fortement amplifié à mesure que l'énergie augmente, en particulier pour des particules de masse très légère comme l'électron, bien plus léger que le proton. « Cela limite l’énergie atteignable par un collisionneur circulaire autour de 500 giga-électronvolts (GeV) environ dans le cas des électrons, explique M. Biarrotte. Au-delà, ils perdent tellement d’énergie qu’il est impossible de les accélérer suffisamment. C’est pour cette raison que nous nous sommes orientés depuis une vingtaine d’années vers des accélérateurs linéaires. »
Impliquant des trajectoires en ligne droite, les accélérateurs linéaires ne sont pas limités par le rayonnement synchrotron. Ils permettent donc d’aller plus haut en énergie. « Par contre, plus l’énergie visée est grande, plus il faut allonger la machine, ajoute M. Biarrotte. Cela peut devenir un handicap en termes de coût. »
Quatre machines à l'étude
Le Cern envisage une machine circulaire - le Futur collisionneur circulaire (FCC) électron-positon - et une machine linéaire - le Collisionneur linéaire compact (Clic). Le Japon propose depuis très longtemps une machine linéaire baptisée Collisionneur linéaire international (ILC). De son côté, la Chine penche vers l’option circulaire avec le collisionneur électron-positron circulaire (CEPC).
« Au-delà des faisabilités financière et sociétale à étudier en détail, il y a de gros enjeux au niveau technologique pour arriver à faire ces machines », assure M. Vacavant. Jean-Luc Biarrotte relève d’ailleurs que cette nouvelle mise à jour de la stratégie européenne met particulièrement l’accent sur la recherche et développement : « Les avancées technologiques des prochaines années permettront d'identifier quelle sera la meilleure machine. »
Efficacité des cavités accélératrices et focalisation du faisceau
Pour l’« usine à Higgs », l’enjeu est principalement d’améliorer l’efficacité de l’accélération des électrons qui se produit dans des cavités résonnantes – ou cavités accélératrices. « Nous essayons de produire les champs accélérateurs les plus forts possibles », explique M. Biarrotte. Pour les machines linéaires, l’objectif est de limiter la longueur du dispositif. Pour les machines circulaires, l’enjeu est de réduire le nombre de cavités accélératrices nécessaires pour compenser la perte d’énergie due au rayonnement synchrotron. Dans les deux cas, l’idée est aussi de réduire la consommation d’énergie.
Deux pistes sont envisagées : des cavités supraconductrices en niobium pour les projets FCC électron-positon et ILC, ou des cavités à très haute-fréquence qui fonctionnent à température ambiante dans le cas de Clic. « Chaque technologie a ses avantages et nous commençons à les maîtriser, souligne M. Biarrotte. Mais il y a encore des efforts de R&D à mener, notamment sur les matériaux, pour pousser leurs performances. »
L’autre défi principal pour ces machines est de focaliser le faisceau de particules à une taille nanométrique pour optimiser le nombre de collisions au point d’impact, et donc le nombre de bosons de Higgs produits.
Doubler le champs des aimants
Pour le collisionneur circulaire proton-proton de 100 TeV, deux options sont possibles pour atteindre ce niveau d’énergie : augmenter le rayon de l’accélérateur ou le champ magnétique des aimants qui le composent. Le compromis qui a été trouvé est un tunnel en anneau de 100 kilomètres (km) de circonférence avec des aimants de 16 teslas. Des chiffres à comparer aux 27 km du LHC actuel et ses aimants de 8 teslas pour une énergie de 14 TeV. « C’est aussi bien une question de coût que de faisabilité géologique et technologique, souligne M. Biarrotte. Nous nous heurtons à notre capacité à faire des aimants de fort champ. »
Pour fabriquer ces aimants, la piste envisagée est d’utiliser des câbles en niobium-étain, voire des supraconducteurs à haute température critique, précise M. Biarrotte : « Tout cela est encore très exploratoire. Mais les experts estiment qu’il faudra environ vingt ans pour faire la R&D, les tests, les prototypes et les démonstrateurs. Il est donc indispensable de démarrer ces travaux aujourd’hui pour imaginer une machine de 100 TeV à horizon 2050. »
Pour la suite, les chercheurs ont déjà des idées pour faire des machines plus compactes : avec des collisionneurs de muons par exemple, ou des accélérateurs plasma. Des concepts futuristes évoqués dans la feuille de route mais qui sortent du cadre d'une implémentation proche.
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