Le Trot - L’Amérique dans le viseur : les confidences de Jerry Riordan
Il vient de défrayer la chronique grâce à son champion Twister Bi, lauréat de l’International Trot en 1’10’’7, le nouveau record du monde sur une piste de 800 mètres. L’américain Jerry Riordan ne cache pas ses ambitions et rêve d’inscrire son nom au palmarès du Grand Prix d’Amérique. Pour LeTROT.com, il revient sur le parcours de Twister Bi et analyse l’opposition en vue du championnat du monde des trotteurs. Premier volet d'une série consacrée à l'entourage des prétendants au titre de champion du monde des trotteurs.
L’entraîneur Jerry Riordan (à gauche de Twister Bi) lors du sacre de son protégé dans l’International Trot à Yonkers © Gérard Forni
Il est né dans le Maine, le même jour que Michael Jackson mais un an avant l'icône planétaire. A 60 ans, Jerry Riordan a roulé sa bosse : dans sa contrée natale où il assista au célèbre « March of Dimes » dans le camp de Mack Lobell (le grand rival d’Ourasi); puis en Italie à l’orée des années 1990 avant de quitter (à regret) le Pays de Dante, frappé par la crise, en 2013. Depuis, l’ancien assistant de Chuck Sylvester a posé ses valises dans l’ouest de la Suède, à Hamlstad. S’il a longtemps considéré que Lisa America était sa plus belle réussite, l’entraîneur américain sait que Twister Bi peut regarder Bold Eagle dans les yeux dans le championnat du monde des trotteurs. Entretien.
Jerry, Twister Bi a réalisé une grosse performance dimanche dernier à Yonkers dans l’International Trot. Vous a-t-il bluffé ?
JR : « Twister Bi est excellent sur les petites pistes, comme celle de Yonkers. Bien que ce soit un grand cheval, il a un jeu de jambes terrible, très fluide, et il peut accélérer en continu. Le cheval va ailleurs aussi vite dans les virages que dans les lignes droites. Que ce soit sur des anneaux de 800 ou de 1000 mètres, il excelle et je ne suis donc pas surpris qu’il ait réalisé une telle performance, même si je ne m’attendais pas à ce qu’il batte le record du monde de vitesse sur une piste de 800 mètres. »
Dans l’International Trot, aviez-vous demandé à Christoffer Eriksson, le driver de Twister Bi, de « tuer » la course à un tour du but ?
JR : « A dire vrai, je lui avais surtout demandé d’être vigilant en début de parcours et d’assurer le premier virage. On pensait que si c’était Oasis Bi en tête, Kim Eriksson son driver nous laisserait passer. Si c’était Resolve, il y avait 50% de chance qu’Ake Svanstedt nous contre. Et c’est ce qu’il s’est passé. Il voulait nous rendre la tâche compliquée car Twister Bi était le nez au vent. Mais à 900 mètres de l’arrivée, si vous regardez bien, ce n’est pas Christoffer (Eriksson) qui lance les hostilités. Au contraire, c’est Ake qui sollicite Resolve puis débouche ses oreilles. Mais rien ne se passe ! (rires). Après la course, Christoffer m’a dit : « J’avais de la dynamite entre les mains ». Alors il a logiquement accéléré et il n’y avait plus de course. Je crois que Twister Bi a fait les derniers 500 mètres sur le pied de 1’07… »
Ce n’était pas le premier coup d’éclat de Twister Bi. Il avait déjà réalisé de grosses performances, comme dans la Finale European Trotting Masters (Prix d’Eté) en dernier lieu. Pensez-vous qu’il aurait pu battre Bold Eagle et Aubrion du Gers s'il avait vu le jour ?
JR : « (il éclate de rire) Tout le monde me pose cette question ! La vérité, c’est que je voulais lui donner une course facile en vue de l’International Trot. Franchement, on ne sait pas si Jean-Michel Bazire était à fond avec Aubrion du Gers et s’il n’en avait pas encore sous le capot. Mais j’étais vraiment très content du résultat. La première chose que j’ai faite en visionnant le replay de la course, ce fut de voir quel était l’écart à l’arrivée entre Twister Bi et les deux premiers. Il a fini tellement près de Bold Eagle et Aubrion du Gers que cette troisième place dans le Prix d’Eté, c’est comme une victoire à mes yeux. »
Au vu de ses performances cette année, on se demande pourquoi il n'a pas couru le Critérium Continental l’an passé...
JR : « J’ai longtemps tergiversé et je vais vous faire une confidence : j’avais peur qu’il gagne cette course. Car s’il avait gagné, on aurait sans doute été obligés de courir le Prix d’Amérique. Je sais que cela peut paraître dingue de dire ça mais contrairement à mon autre pensionnaire, Treasure Kronos (NDLR : lauréate du Critérium Continental), Twister Bi n’était pas encore prêt mentalement. A 4 ans, Treasure Kronos avait déjà le mental d’une jument de 7 ans et je savais qu’elle parviendrait à encaisser sa course dans le Prix d’Amérique. J’ai toujours demandé aux propriétaires de Twister Bi d’être patients avec lui car il fallait le préserver. En plus, il n’est pas fiable départ volté et comme son driver est toujours obligé d’assurer, il perd beaucoup de terrain dans les premiers mètres de course. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai décidé de faire appel à un pilote français, qui connaisse bien la piste de Vincennes et lui apprenne comment bien volter. »
Vous avez fait appel à Alexandre Abrivard dans le Prix d’Eté et vous venez d’annoncer qu’il sera le driver de Twister Bi cet hiver. Pourquoi lui ?
JR : « Parce que Jean-Michel (Bazire) était déjà pris (il éclate de rire). Pour tout vous dire, mes liens avec la famille Abrivard remontent à une quinzaine d’années. A l’époque, son cousin, Matthieu (Abrivard), était la copie conforme de Leonardo Di Caprio ! D’ailleurs, je l’appelle toujours « Di Caprio » quand je le croise et ça le fait bien rire… Pour en revenir à Alexandre (il l’appelle "Alexander"), il n’avait mené qu’une seule fois pour moi avant de driver Twister Bi. Il s’agissait de Pando Negro (NDLR : 2ème du Prix de la Mayenne le 26 février 2017 derrière Twister Bi). Il lui a donné un super parcours et le cheval n’avait jamais aussi bien couru. Alexandre m’a vraiment étonné car en dépit de son jeune âge, il est vraiment très froid et sait très bien s’adapter à son partenaire. D’ailleurs je suis convaincu que si Twister Bi gagne l’International Trot, c’est grâce au travail réalisé par Alexandre dans le Prix d’Eté. Il a fait du super bon boulot et j’ai donc décidé de lui confier les clés du bolide. »
Twister Bi a couru à douze reprises cette année, n’est-ce pas beaucoup pour un cheval dans l’optique du Grand Prix d’Amérique ?
JR : « C’est vrai qu’il a pas mal couru et qu’il a eu des courses difficiles, très difficiles même. Le cheval va donc observer du repos à présent et à partir de la mi-novembre, il partira pour Grosbois. Twister Bi adore Grosbois et ses allées cavalières ! Durant le précédent meeting d’hiver, il s’y est vraiment beaucoup plus. Grâce à l’argent gagné dans l’International Trot, Twister Bi a plus d’un million d’euros de gains et n’aura normalement pas à jouer sa qualification dans les « 4 B ». Je compte le présenter dans le Prix Ténor de Baune (le 24 décembre) puis le Grand Prix de Belgique (14 janvier) en espérant être au départ du Grand Prix d’Amérique. Et s’il ne participe pas, eh bien comme vous dites en français : "C’est la vie" ! »
Parlons de l’opposition à présent. Parmi les prétendants scandinaves au prochain Grand Prix d’Amérique, on parle de Readly Express, Propulsion, Lionel ou encore Nuncio. Qu’en pensez-vous ?
JR : « Nuncio est à mon sens le trotteur le plus sous-estimé de l’histoire. Quand on voit ce qu’il a accompli aux Etats-Unis à deux et trois ans, puis plus tard en Suède en remportant l’Elitloppet à 5 ans, c’est tout bonnement exceptionnel. Il y a des similitudes dans son parcours avec Mack Lobell. Mais je crois beaucoup en la génétique et je pense que les trotteurs américains atteignent une limite à un certain âge. Ils sont très intelligents et vous donnent tout très vite. Mais pour gagner le Prix d’Amérique, quand on est un standardbred, il faut être capable de se surpasser et je ne pense pas qu’il en soit capable. Il en va de même pour Propulsion, en dépit de l’excellent travail accompli par Daniel Redén. Je me méfie d’ailleurs bien plus de Lionel qui a une aptitude avérée à la piste de Vincennes et a déjà battu Bold Eagle. S’il a un bon parcours, il peut le faire. C’est le cheval que je crains le plus parmi les pensionnaires de Daniel Redén. Quant à Readly Express, il est très respecté en Suède et à juste titre car il a un incroyable talent... (Il marque une pause puis reprend.) Je vais peut-être vous surprendre, mais je ne crois pas qu’il ait l’étoffe d’un lauréat de Prix d’Amérique. Dans le Jubileumspokalen, où il bat Twister Bi, j’ai été surpris que nous terminions aussi près de lui. Soyons clair : même si Twister Bi est un sacré bon cheval, avec le parcours qu’il a eu, Readly Express aurait dû si c’était un grand champion le distancer dans la ligne droite. Si Bold Eagle avait été à la place de Readly Express, il nous aurait mis un vent dans la phase finale. »
Bold Eagle justement vise un troisième succès d’affilée dans le Prix d’Amérique, ce qui ne s’est plus vu depuis Ourasi il y a maintenant près de trois décennies. L’en croyez-vous capable ?
JR : « Bold Eagle est un immense champion et je suis convaincu que son talent vient en grande partie de son entraîneur. Sébastien Guarato est comparable à un « psychologue ». Il sait préparer mentalement ses chevaux en vue d’une course comme peu d’entraîneurs sont capables de le faire. Guarato a plus d’un tour dans son sac et il n’a pas encore utilisé tout son répertoire avec Bold Eagle. Ce sera le cheval à battre et s’il parvient à l’emporter, avec l’opposition qui s’annonce, c’est qu’il aura encore franchi un pallier, tout champion qu’il est. »
Outre Twister Bi, quels autres de vos pensionnaires courront cet hiver sur le cendrée parisienne ?
JR : « Ringostarr Treb participera logiquement au Grand Prix du Bourbonnais (10 décembre). Il va lui aussi tenter de se qualifier pour le Prix d’Amérique. Quant à Treasure Kronos, elle devrait effectuer son retour à Vincennes le 9 novembre, dans le Prix Marcel Laurent. »