Paris Turf - Christophe Martens : “Je drive à 80 % au millimètre”
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Sébastien PIAZZA | Publié le vendredi 16 novembre 2018
Christophe Martens
Il a gagné partout, été sacré en 2006 meilleur driver européen, l'année suivante champion du Monde des pilotes, a croisé la route de Commander Crowe. Mais à 46 ans, Christophe Martens n'a plus les mêmes priorités, aspire à autre chose et l'évoque au travers d'une interview dans laquelle il se confie. Sereinement. Moins fougueux (quoique), mais habité par la même envie de réussir. Différemment...
Cinq semaines après avoir chuté lourdement en Haute-Marne (Montier-en-Der), le belge a renoué avec la victoire à Lyon, mercredi. C'est dans le taxi qui le conduisait de la gare Part-Dieu à l'hippodrome de la Soie qu'il est revenu sur son actualité. Sa saison, sa vie, ses projets, tout y passe.
• Christophe, comme certains sportifs de haut niveau, vous avez “ni... la science” pour reprendre plus tôt, on dirait ?
Disons qu'on m'avait annoncé six semaines de convalescence après mon accident ; j'ai repris un peu plus tôt, c'est vrai, mais je reste en phase de rééducation. Je vais tous les jours à Provins (77) faire de la kiné pendant une heure. Ma jambe va mieux (il a été victime d'une déchirure des ligaments et muscles internes du genou gauche, N.D.L.R.). Ce n'est pas encore le top, mais ça va dans le bon sens.
• Lorsqu'on dresse le bilan de votre saison, on a l'impression que l'année qui se termine ne s'est pas déroulée aussi bien que vous auriez pu le souhaiter, si ?
C'est une façon de voir les choses. Si vous pensez uniquement à ce qui a fait parler, OK. Ma suspension, cet été, après l'accident de David Békaert. Mon coup de gueule à Beaumont-de-Lomagne et ma chute, le mois dernier. Mais je suis quelqu'un qui positive. Je passe vite à autre chose. Après, c'est vrai que l'on a pris aussi un certain nombre de décisions qui s'imposaient, avec mon frère.
• Lesquelles ?
Avec Vincent, on s'est rendu compte que le bilan de ces deux ou trois dernières années était moins bon. Que l'on avait une structure trop importante. 145 chevaux, plus d'une vingtaine de salariés... Un jour, on s'est posé autour de la table. On a fait les comptes et on s'est dit que l'on devait réduire la voilure. Que nos charges étaient trop importantes. 50 chevaux sont partis. On a moins de personnel. Là, on repart sur des bases plus saines.
• Avez-vous revu vos ambitions à la baisse ?
Non. D'ailleurs, on maintient notre politique d'investissement au travers des 16 hectares que l'on a achetés en Seine-et-Marne (autour du haras de Bernay-Vilbert, créé en 1971 par Léopold Verroken, racheté en 1996 par Michel Lenoir et appartenant, depuis 2012, aux frères Martens). Nos clients sont toujours là. Prêts à investir. C'est primordial. Mais on ne peut pas dépasser une certaine limite. À un moment donné, ça devenait n'importe quoi.
• Votre force de frappe est donc toujours aussi importante...
Elle l'est. Après, on a repensé notre modèle. On s'adapte aussi à l'évolution du marché, en France comme à l'étranger.
• Björn Goop, Sébastien Guarato ou encore Jean-Michel Bazire polarisent l'attention des intérêts scandinaves. C'est trop dur de rivaliser face à eux ?
On parle là de très grands professionnels. Björn, par exemple, il est Suédois. C'est forcément plus facile pour lui de travailler avec les Scandinaves. Nous, on a toujours aimé entraîner des chevaux étrangers, mais ça coûte cher et la concurrence est rude. C'est pour cela que l'on réfléchit différemment.
• Comment ?
En essayant d'aller aux bons étalons français comme Ready Cash, mais pas que, et en développant notre élevage. On a aujourd'hui une trentaine de poulinières. On veut s'inscrire sur la durée. Ça prend du temps, mais on y croit.
• On vous sent pleinement investi dans votre rôle de coentraîneur...
Je le suis. Vincent, ça reste le boss, à l'écurie. Moi, je suis à ses côtés, on gère le relationnel avec nos clients et, même si ces dernières semaines, j'ai moins été aux courses, je suis encore souvent en déplacement.
• Mais moins, quand même...
Ah oui, c'est sûr. J'ai 46 ans. Une femme. Mes enfants grandissent. J'ai besoin d'être auprès d'eux. De passer plus de temps à l'écurie. À la maison. Des courses, j'en ai gagné. Je veux maintenant développer notre structure. Et me rendre aux courses avec des éléments que l'on entraîne et qui ont du potentiel.
• Vous avez toujours la grinta ?
Je suis motivé à 110 %. Je me sens toujours dans le coup et crois en ce que l'on fait.
• On a pourtant le sentiment que vos qualités de pilote sont moins recherchées...
C'est vrai. Je suis moins à la mode. Mais c'est le jeu. Quatre ou cinq agents m'ont proposé leur service. J'ai refusé leurs sollicitations.
• Pourquoi ?
Parce que je n'ai plus envie de ça. Passer mon temps dans les transports pour aller driver des troisièmes chances à droite et à gauche, ça ne m'intéresse pas. Attention, j'aime toujours autant gagner et, honnêtement, je drive encore à 80 % au millimètre.
• Mais vous n'êtes plus le partenaire de Tony Gio, qui va disputer demain la première “B”...
C'est un choix du propriétaire. Il s'agit d'un client important. Je le respecte. Tout va bien.
• Le Top-5 des meilleurs drivers en France, c'est du passé ?
Quand vous ne menez qu'une fois ou deux dans une réunion, la marge d'erreur se réduit. Mais regardez mes parcours. Je sais où je vais. J'ai assez de lucidité pour m'en rendre compte et je pense encore faire partie des cinq meilleurs pilotes, ici.
• Si, demain, un grand entraîneur français (ou étranger) fait appel à vos services, vous faites quoi ?
J'accepte. Tout de suite. Mais je ne suis certainement plus une priorité. Les jeunes courent partout, toute l'année. Ils ont des agents. Regardez la saison que fait Yoann Lebourgeois. Moi, ça, je ne suis plus capable de le faire. J'ai eu la chance de me retrouver sur le devant de la scène. J'ai drivé des champions. J'ai gagné de grandes épreuves. Aujourd'hui, je recherche avant tout la qualité. Si on me demande de mener un super cheval, pas de problème. Mais ce super cheval, j'espère qu'on l'aura dans nos boxes. On travaille pour ça.