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ALEXANDRE ABRIVARD : "C'EST UN TOURNANT DE MA CARRIÈRE"
Il y a maintenant un peu plus d’un mois, Alexandre Abrivard et ses deux accompagnateurs étaient victimes d’un accident sur l’autoroute de l’Ouest en direction de Paris, aux environs de Chartres. Leur camion transportait deux chevaux dont la gagnante de Groupe 1 Just Love You. De toutes ces victimes de l’accident, c’est l’Etrier d’Or en titre qui sera le plus gravement touché. Il a reçu ce jeudi l’aval de son médecin pour intensifier sa rééducation en rejoignant un centre spécialisé à Bordeaux, le Medical Stadium.
Samedi 13 janvier 2024, tous les téléscripteurs hippiques, ou plutôt tous les réseaux sociaux à contenu hippique, propagent la même information prioritaire. Alexandre Abrivard est impliqué, avec deux salariés de l’entreprise familiale, dans un accident de camion. On connaît la suite. Les hommes et les deux chevaux s’en sortiront sans séquelles majeures à l’exception d’Alexandre Abrivard, victime d’une double fracture tibia-péroné. Il y a même du miracle dans ce bilan compte tenu de l’importance du sinistre.
Les semaines ont passé. Il y a quelques jours, nous avons sollicité le professionnel en convalescence pour parler de sa vie nouvelle, de ses réflexions et envies du moment.
24h au Trot.- D’abord, comment allez-vous ?
Alexandre Abrivard.- Je vais plutôt bien vu les circonstances. Mentalement, ça va. C’est le principal même si je ne fais pas grand chose de mes journées. Le principal est actuellement mon travail avec mon kiné. Nous faisons du bon travail.
Pouvons reparler de l’accident ? En avez-vous des souvenirs d’abord ou avez-vous eu un black-out ?
Je m’en souviens parfaitement et n’ai d’ailleurs jamais perdu connaissance. Avant de le choc, le camion est sorti de la route pendant plusieurs mètres et j’ai essayé de me protéger du mieux que je pouvais en m’accrochant au siège passager et en me protégeant la tête. Quand le camion a fini sa course dans le fossé, le choc a été brutal. La cabine a reculé. J’étais sur la banquette arrière et le siège central a reculé, me coinçant ma jambe gauche entre son armature et la banquette. Sur le coup, je n’ai pas eu trop mal. J’ai cherché à me libérer en pensant qu’il fallait juste avancer le siège. À ce moment-là, la douleur reste supportable. Il a fallu me désincarcérer. Les secours ont mis une heure et demie à me dégager la jambe. Lorsqu’ils m’ont sorti de l’habitacle et que j’ai commencé à bouger, la douleur était intense. Heureusement, j’ai vite reçu des sédatifs.
Pendant tout ce temps, bloqué dans le camion, à quoi avez-vous pensé ?
Pour moi, le plus important était de garder les idées claires et de ne pas avoir de douleurs qui m'empêchent de rester lucide. J’ai rapidement vu que ma jambe était en "Z" Tu te poses plein de questions dans ces moments-là. Je ne me faisais pas d’illusion en voyant ma jambe, je voyais qu’elle était cassée et je pensais même qu’elle était en miette. J’avais froid et voulais juste me réchauffer et sortir de la cabine. Je ne pensais pas vraiment à ma carrière à ce moment précis. Je n’y ai pensé qu’en arrivant dans le camion des pompiers.
Quand avez-vous vraiment réalisé ?
Lorsque le chirurgien, à l’hôpital, m’a expliqué ma blessure. Dans mon malheur, ma jambe s’est brisée nette. C’était le meilleur scénario car les articulations de la cheville et du genou n’ont pas été touchées. L’opération s’est bien déroulée et le chirurgien était satisfait de son travail. Il a pris en compte mon âge et mon statut de sportif pour bien consolider mon tibia et mon péroné, avec la pose de plaques et vis.
Comment et où se sont passés vos premiers jours après l’accident ?
Je suis resté 48h à l’hôpital avant de retrouver mon domicile. Rapidement, la douleur s’est réveillée avec l’arrêt progressif des anesthésiants et antalgiques. Les quinze premiers jours ont été difficiles mais depuis la douleur s’est atténuée. Avec mon kiné, j’ai pu rapidement progresser pour conserver la mobilité de la cheville. J’avais un hématome pendant quelques semaines qui s’est progressivement résorbé. Je marche un peu sans en faire trop. Tous les jours, j’en fais un peu plus et cela va dans le bon sens. Sur les conseils de mon ami Marc-Antoine Dragon (jockey d’obstacle), je mange trois repas équilibré par jour sans chercher à faire de régime d’autant que j’ai déjà perdu trois kilos de muscle lors des trois premières semaines. Aujourd'hui, ma jambe gauche fait deux centimètres de moins en tour que la droite. J'ai hâte de pouvoir intensifier ma rééducation dès lundi prochain à Bordeaux [lire aussi plus loin] mais je ne veux pas, non plus, griller des étapes.
Quand j’ai vu François (Lagadeuc) poser sa selle sur le dos de ma jument (Hanna des Molles), cela m’a fichu un coup.
Parlons maintenant de votre moral. Comment allez-vous ?
Mieux et bien. Je me suis fait rapidement une raison. Cela aurait pu être pire même si cela fait ch... Cela a été aussi mentalement une expérience douloureuse. Ce n’est pas compliqué, par trois fois, je n’ai pu contenir mes larmes. La première dans le camion lorsque j’étais coincé car l’attente a été longue et j’avais froid. La deuxième à l’arrivée de ma femme et quand j’étais au téléphone avec mes parents dans le camion des pompiers. Et la troisième lorsque j’ai vu mes collègues seller les chevaux pour le Cornulier. Quand j’ai vu François (Lagadeuc) poser sa selle sur le dos de ma jument (Hanna des Molles), cela m’a fichu un coup. Mais maintenant que la belle course est passée, ça va. Je peux toutes les voir sans aucun souci.
On vous sait bien entouré. C’est important dans ces moments-là ?
Oui, effectivement, j’ai la chance d’être très bien entouré. Ma femme et mes enfants sont un soutien sans faille au quotidien comme mes parents. Priss (sa femme Prescylia) est très forte, Maël, notre fils aîné, a pris beaucoup de maturité depuis cet accident et nous assiste dans les travaux quotidiens. Il m’épate jour après jour. Ma sœur est infirmière et me prodigue tous les soins nécessaires. Mes amis et ma famille viennent régulièrement me rendre visite sans parler des nombreux appels téléphoniques. Au départ, les nuits étaient plus difficiles, la douleur se réveillait par moment et je ne dormais pas bien. La douleur me réveille encore de temps en temps mais cela va de mieux en mieux évidemment.
Est-ce que cette épreuve et la période que vous vivez changent votre façon de voir les choses dorénavant ?
Oui, incontestablement. J’ai 30 ans et c’est un tournant dans ma carrière. Je vais peut-être penser un peu plus à moi et à ma famille désormais. Je risque d’une certaine façon de devenir plus égoïste. C’est ce que je me dis aujourd’hui mais lorsque je vais reprendre mon activité, ma vision sera-t-elle encore la même ? Je souhaiterais faire mon métier comme je l’entends et me mettre moins d’obligations. À court terme, je vais prendre le temps de me remettre complètement de ma blessure et vais privilégier de manière générale la qualité à la quantité en 2024. Je reste un compétiteur et un gagneur mais pas à n’importe quel prix. À l’heure où je vous parle, je me dis que je vais opter, lors de mon retour, pour les bonnes pistes et les chevaux de qualité. J’ai vraiment envie de poursuivre ma carrière de jockey pendant de longues années avec un corps en parfait état. J’espère pouvoir retrouver toutes mes facultés physiques dans les prochaines semaines.
Parlons aussi de votre rôle dans l’écurie familiale. Vous avez toujours été très impliqué. Où avez-vous placé le curseur dorénavant ?
Au début, je voulais continuer à établir le programme des chevaux, gérer les engagements et les montes mais, rapidement, j’ai redonné cette tâche à mon père. J’ai décroché complètement de l’organisation de l’écurie. J’avais besoin de faire un break. Je suis les courses des chevaux de l’écurie et nous échangeons régulièrement avec mon père mais le fait de ne pas être présent à ses côtés le matin m’empêche de m’impliquer totalement.
Et si vous nous parliez des deux grandes courses et de leur vainqueur ? Commençons par Esperanza Idole, la lauréate du Prix de Cornulier.
L’histoire est incroyable et je crois que la victoire de la jument de Noël Langlois était inscrite au palmarès avant même que la course ne se courre. Avoir un accident de circulation avec la destruction totale du camion sans que personne ne soit touché, pouvoir reprendre la route et arriver dans les temps pour participer au Cornulier et le gagner est quand même incroyable. C’était leur destin !
J’avais mis Esperanza Idole dans mon pronostic. Elle avait connu une bonne préparation et était déferrée pour l’occasion. Le déroulement lui a été favorable et, comme à son habitude, elle a tracé une belle ligne droite. Cela fait plaisir de voir une telle équipe s’imposer. C’est bien qu’une petite structure très compétente gagne la grande course avec un jockey qui n’est pas présent tous les jours à Vincennes. C’était très émouvant devant la télé et j’étais très content pour eux.
Et que dire sur le vainqueur du Prix d’Amérique qui a depuis doublé la mise dans le Prix de France ?
Le meilleur a gagné ! Idao de Tillard était mon favori dans les deux cas. À l’image de Bold Eagle et de Face Time Bourbon, c’est un cheval d’exception et c’est important de voir son nom au palmarès de ces deux grandes courses. Il n’a pas eu un parcours facile dans le Prix d’Amérique mais Clément (Duvaldestin) a confiance en son cheval et ne fait aucune erreur de drive. Thierry et Clément ont fait du super boulot en préservant le cheval depuis le Critérium (N.D.L.R. : Critérium des 5 Ans, en septembre dernier). Ils lui ont donné des courses à l’économie, sans artifices, et Idao est arrivé sur l’Amérique avec de la marge.
Feu vert pour intégrer le centre de rééducation
Ce jeudi 15 février, Alexandre Abrivard avait rendez-vous avec le chirurgien qui l'a opéré. Ce dernier lui a donné son accord pour passer à une étape de rééducation plus intense. Dès lors que son kinésithérapeute avait déjà validé il y a quelques jours l'intensification possible du travail musculaire, Alexandre Abrivard va intégrer le Medical Stadium de Bordeaux dès lundi prochain (19 février). C'est dans ce même établissement spécialisé que le cousin d'Alexandre, Matthieu Abrivard, avait aussi été admis en rééducation il y a quelques années. Lors de cette nouvelle étape, d'une durée initiale de quinze jours, Alexandre Abrivard pourra notamment entreprendre du travail en bassin. Ensuite, une nouvelle intensification pourra être envisagée, dans le respect des avis des spécialistes et avec la recommandation faîte par son chirurgien ce jeudi de toujours "rester à l'écoute du corps". Le professionnel des courses est dans le timing imaginé dès le départ par le corps médical. Cela progresse ni plus vite ni moins vite qu'espéré et le délai global de trois mois est toujours d'actualité. Ce qui ferait revenir Alexandre Abrivard sur les programmes vers la mi-avril.
Just Love You au jogging
Présente dans le camion accidenté, Just Love You (Love You) s'est était sortie sans dommages physiques. Après un break pour effacer le traumatisme, elle fait actuellement du jogging. L'idée est de lui faire reprendre la compétition dans un Groupe 2 à la mi-avril, pour mâles et femelles, avec une épreuve pour seules femelles quelques semaines plus tard. Et si Alexandre Abrivard et Just Love You effectuaient leur rentrée ensemble ?