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ivct écrit: ...me souvenais plus de ton topic joyeuxrire !
c'est super ce que tu fais pour l'élevage trot ; aussi je ne posterai plus là dessus concernant le trot dans " des chevaux et des hommes " mais je viendrai lire ici !
merci et bonne continuation ♥
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Grand entraîneur, fin pilote (surnommé « Roger la Science »), plusieurs fois tête de liste des drivers, il compte plus de 2 000 victoires à son palmarès dont les Prix d’Amérique (Queila Gédé), de France (Quérido II x2), de Paris (Quérido II et Fleuronné), le Critérium des 3 Ans (Pinochle), le Critérium Continental (Tiki R), le Championnat Européen des 3 Ans (Pontcaral), les Prix de l’Étoile (Tiki R, Pontcaral), de Sélection (Képi Vert), d’Été (Khali de Vrie et Réussite de Rozoy), le Grand Prix de Recklinghausen (Khali de Vrie), le Prix de l’Élite des 4 Ans en Suède (Pontcaral), etc.
Trot Infos : « Vous avez gagné votre première course à 13 ans en 1945. Comment se passait l’entraînement des trotteurs en France dans ces années-là ?
Roger Baudron : À l’époque, seules les grosses écuries (Bertrin, Viel, Céran-Maillard, Forcinal) avaient leurs pistes en Normandie. Les autres entraînaient sur la route ou sur les plages. En Bretagne et dans la Manche, il y avait des hippodromes marins. Ils entraînaient sur la longueur, faisaient de la promenade et couraient le dimanche. Moi, par exemple, après la guerre de 1940, je travaillais avec mon père et n’ayant pas de piste, j’allais sur la route. Les lundi, mardi et mercredi, on faisait faire au cheval sept à huit kilomètres, puis le jeudi, vendredi et samedi dix à douze kilomètres au petit trot. Au début, avec mon père, on n’avait rien, on n’était pas éleveurs, on achetait des chevaux pour courir comme cela.
En fin de compte les chevaux s’entraînaient en course ?
Presque, car on faisait des meetings, et là on pouvait les entraîner sur l’hippodrome. Les chevaux s’amélioraient en courant.
Les gens faisaient des raids aussi ?
Oui, en Bretagne et en Normandie notamment, sur de très longues distances. Mais beaucoup de gens qui faisaient des raids étaient des hommes de chevaux. Il ne faut pas les prendre pour des « comiques ».
Qu’est ce qui a changé ensuite ?
Après la guerre, on pouvait encore aller sur les routes à pied, le cheval était un moyen de locomotion. Mais deux-trois ans plus tard, c’était fini. Il y avait des voitures et les bulldozers étaient passés pour refaire les routes. Alors, on a tous fait peu à peu des petites pistes.
Êtes-vous alors allé faire des stages chez des confrères ?
Oui, mon père m’avait envoyé chez Alphonse Sourroubille (vainqueur du Prix d’Amérique 1944 avec Profane) à Joinville-le-Pont. J’avais 17 ans et j’étais parti à Paris par le train avec quatre chevaux. Le père Sourroubille était monté du Sud-Ouest avant la guerre. C’était un homme calme et patient, un apôtre de la non-violence (rires)… Il était rare qu’il se mette en colère. Cela allait bien avec moi qui était un peu nerveux. On travaillait sur l’hippodrome de Vincennes, sur la petite piste de 1 800 mètres. Tout le monde faisait à peu près la même chose. D’abord un tour d’échauffement avec un petit bout vite. Puis, on reprenait un canter sur 2 300 mètres avec le dernier kilomètre assez vite. Il fallait 600 ou 700 mètres ensuite pour arrêter le cheval, et on rentrait à l’écurie. Cela dit, certains faisaient un tour de plus (4 000 mètres au lieu de 2 000 mètres).
Comment drivait-on sur la piste de Vincennes alors ?
À 20 ans, j’avais déjà gagné pas mal de courses en province où j’aimais courir mes chevaux sans enrênement avec une martingale et des bretelles, car je ne n’aimais pas serrer les genoux. À Vincennes, le profil de la piste faisait que si on descendait vite, on ne remontait pas ! Celui qui passait la descente à tombeau ouvert ne remontait pas. Alors, tout le monde essayait de descendre tant bien que mal pour progresser en montée à partir des 1 200 mètres. Car des 1 200 mètres à l’entrée de la ligne droite, cela montait tout le temps, avec un passage plus dur à mi-montée, et un autre de 250 mètres dans le dernier tournant, avant l’entrée de la ligne droite. Pour gagner, il fallait souvent se retrouver dans les trois premiers à l’entrée de la ligne droite (qui redescendait pour finir). Il fallait donc passer les « morts » avant le dernier tournant, ce qui explique que certains venaient tout à l’extérieur dans la montée, disant ensuite : "J’étais sur l’herbe en dehors à un moment" !
Et Charley Mills est arrivé...
Oui, à 17 ans, je vois Mills courir. Il gagnait tout. Il n’y avait que ses chevaux qui finissaient. Lui ne faisait pas un geste et ne donnait jamais un coup de cravache ! Je n’avais jamais vu cela. C’est Jonel Chyriacos qui l’avait fait venir en France pour travailler avec lui. Car quand Mills (qui était citoyen irlandais mais né en Allemagne) est revenu d’Allemagne, il passait par la France avant de partir pour les États-Unis. Et Chyriacos l’a retenu. Il l’avait connu jeune en Autriche après la guerre de 14. M. Chinot (beau-père de Michel Gougeon) était copain avec Chyriacos, et il m’avait dit que celui-ci ne parlait que de Mills.
Chyriacos a donc aidé Mills en France ?
C’est-à-dire que Chyriacos avait son propre centre d’entraînement en France, et il a employé Mills comme collaborateur et driver. À eux deux, ils ont tout gagné. Il faut dire que Chyriacos était un organisateur exceptionnel, le plus fort qu’on ait eu. Il avait 100 chevaux à l’entraînement, repartis dans des petites cours de 15 ou 20 chevaux avec un homme pour trois ou quatre chevaux et un chef de cour (premier garçon), deux maréchaux-ferrants à demeure, un manège pour sortir les chevaux. Et il faisait fabriquer ses propres sulkies, ses road-cars, tout ! C’était inimaginable.
Et Charley Mills, comment entraînait-il ?
Je ne suis pas allé faire de stage chez lui comme Ali Hawas, par exemple, mais j’allais parfois trotter des chevaux dans son centre d’entraînement à Chamant. Chez Mills (qui avait tout perdu pendant la guerre), il y avait un homme pour trois chevaux, une soixantaine de chevaux pour trente gars environ, plus Mario Capovilla, et ensuite Hans Sasse, qui drivaient aussi. Et un premier garçon autrichien qui ne voyait que par Mills, je me rappelle. Et chez lui, les chevaux étaient à l’avoine et au foin, rien d’autre, garanti. Quand un cheval ne mangeait pas, il disait « Moi, lui donner de l’appétit demain matin au travail » (rires). Mais il disait cela peut-être seulement au sujet de chevaux moyens. Sinon, il travaillait en heats, ce qui était révolutionnaire chez nous à l’époque. Parfois, il faisait un heat simple de 5 000 ou 6 000 mètres, ou alors deux fois 2 000 mètres avant de travailler le cheval qui était rentré et promené une demi- heure par son lad avec deux couvertures pour qu’il sèche. Puis, il le reprenait pour un autre heat, et rebelote, promenade en main avec deux couvertures. Ensuite venait le troisième ou quatrième heat toujours sur 2 000 mètres s’il le fallait (parfois cinq même), en principe en accélérant, de plus en plus vite.
Ce fut le travail de Pinochle avant votre victoire dans le Critérium des 3 Ans.
Oui, j’ai drivé Pinochle grâce à Marcel Perlbarg, un homme gentil qui m’aimait bien. Il avait dit à Mills de me la confier dans ce classique. Mills était son ami, pendant la guerre, il avait fait sortir Perlbarg d’un camp de prisonniers en Allemagne pour le faire travailler dans son écurie. Or, Perlbarg était juif. Mills lui avait sauvé la vie. Aussi, pour Perlbarg, Mills c’était tout. Avant ce Critérium j’étais donc allé chez Mills pour prendre contact avec la jument. J’arrive un matin à Chamant, elle avait déjà fait deux heats légers. Je la prends pour le troisième, 2 000 mètres avec les derniers 1 000 mètres assez vite. « Combien ? », me demande Mills, « 1’20’’ » je réponds et il me réplique : « Pas assez vite, je vais mettre Liva Volo à vos cotés avec Sasse, et là, vous drivez ! » C’était le quatrième heat, et là, je finis en 1’17’’. « Bien, vous content ? », me demande Mills. Je réponds oui et quelques jours plus tard, j’ai gagné le Critérium des 3 Ans avec Pinochle. Après, j’ai compris qu’il voulait que je prenne confiance avant la course, que je crois en la jument. Mais driver pour Mills était facile…Tout avait été fait avant.
Vous vous êtes inspiré de ses méthodes d’entrainement ?
Oui beaucoup. J’essayais de me rapprocher de ses méthodes en heats mais aujourd’hui je pense que j’ai plutôt trop travaillé que pas assez, avec le recul, j’ai exagéré (rires). Mais Mills fut un modèle comme entraîneur et comme driver. Il courait ses chevaux avec un enrênement flottant et une petite palette souvent. Et il avait une main en or, ne démarrait jamais vite et venait souvent en une fois pour finir. Pour la ferrure, il était très fort aussi. J’ai admiré Paul Viel également, le père d’Albert Viel, un grand driver qui travaillait déjà la vitesse en un seul heat de 2 000 mètres les mardi, jeudi et samedi.
Et vous étiez ami avec Georges Dreux.
Oui, il faisait partie de ma famille, et Georges fut aussi un grand entraîneur. Il était plus calme, plus tranquille que moi. Il aimait se concentrer sur un ou deux bons chevaux. Moi, je préférais avoir beaucoup de chevaux car je voulais avoir trois ou quatre partants à driver par jour. Georges était plus entraîneur. Lui, il faisait d’abord une promenade, puis 2 000 mètres à l’envers, et deux départs, revenant au pas à chaque fois. Après seulement, il faisait environ 2 500 mètres en accélérant pour finir au travail.
Georges Dreux a formé de nombreux champions montés (gagnant quatre fois le Prix de Cornulier), mais, vous aussi, vous avez réussi avec des chevaux montés dont Queila Gédé ou Gardon. La monte moderne en avant a-t-elle tout changé ?
Pour moi, ce sont surtout les nouvelles pistes qui ont tout changé, car ce sont elles qui ont permis que la monte en avant soit efficace. Remettez l’ancienne piste de Vincennes, avec sa descente abrupte et sa montée plus difficile, une piste souvent fouillante en plus… Et vous verrez qu’il fallait de drôles de cavaliers pour passer la descente au bout des doigts sans que le cheval ne tire. Jean Mary était un de ceux qui arrivait à faire descendre les chevaux avec très peu de poids. Mais, s’il en fallait un peu pour descendre, il en fallait un minimum aussi pour pouvoir remonter ! Jean Mary était un champion car, dans la montée, il n’était pas du tout dans la selle en plus. Or, la bonne assiette, contrairement à ce qu’on croit, ce n’est pas se taper le cul dans la selle… C’est le mouvement du jockey qui n’est pas du tout sur les reins du cheval. Jean Mary, d’ailleurs, sellait ses chevaux très en avant et sanglait peu. Il a gagné trois fois le Prix de Cornulier avec le cheval de mon père, Gardon, que j’entraînais. Sans Jean, Gardon n’aurait pas fait la même carrière. Il fallait le voir avec ce cheval, encore 50 mètres derrière les leaders dans la montée, avec son buste très avancé, le commandant juste avec ses jambes, et pour finir, il ne redescendait pas souvent dans la selle, gardant sa position jusqu’au poteau.
Michel Gougeon avait-il la même façon de monter que Jean Mary ?
Il avait la même légèreté à cheval, bien avancé sur son cheval, le buste bien placé. Mais il était un tout petit peu plus « dans la main ». Et il embouchait un peu moins dur. Avec son crack Fandango par exemple, il ne touchait pas à la main, Fandango et les autres champions qu’il monta (N.D.L.R. : remportant notamment sept Prix de Cornulier et huit Prix de Vincennes), étaient plus dominateurs dans le parcours. Ils avançaient. Oui, Michel démarrait un peu plus tôt, et les chevaux de Jean Mary venaient plutôt pour finir.
Vous avez drivé et gagné sur la nouvelle piste de Vincennes (refaite en 1993) après avoir beaucoup gagné sur les précédentes. En quoi la manière de driver a-t-elle changé ?
Vous savez, la piste de Vincennes a été refaite deux ou trois fois. En dernier lieu (en 1993), j’ai insisté pour que la montée soit dessinée en tournant toujours un peu car c’est moins difficile pour les chevaux qu’une longue ligne droite. Elle est moins brutale. Et, en plus, avant, à l’intersection des pistes, il y avait souvent des problèmes avec les drivers qui se gênaient. Mais la piste est mieux profilée aujourd’hui, plus roulante, les chevaux vont plus vite. La course se dessine plus progressivement. Vous pouvez passer presque à n’importe quel moment sur une accélération, avant non. Il n’y a plus de vrais pièges. Avant, cela se jouait surtout lors du dernier kilomètre. Aujourd’hui, à partir du dernier tournant, c’est presque plat. Et la descente est moins prononcée. Remarquez, la première fois où j’ai couru sur la nouvelle piste, je m’attendais à pouvoir venir en progression dans la montée. Or, arrivé dans le dernier tournant, j’ai eu l’impression que les gars devant moi changeaient de piste et passaient sur la petite, car je suis resté en « suspension » ! À mon avis, il vaut mieux partir à sa main (sur un 2 800 mètres par exemple), et venir en descendant, ou même en plaine, où le tournant est tellement bien tracé (ce qui n’était pas le cas avant) qu’il n’est pas trop grave de faire l’extérieur. Aujourd’hui, par contre, on ne peut plus attaquer en troisième épaisseur en montant sauf exception.
Ces chutes des records viennent surtout des pistes selon vous ?
Oui, l’amélioration des pistes a tout changé, le plus grand nombre de bons professionnels et de bons chevaux aussi, les heats, les pistes de dégagement, les départs à la cellule, etc. Et en américanisant notre race, on a surtout amélioré la précocité. Dans le temps, beaucoup de chevaux étaient mal ferrés aussi. Aujourd’hui non, ils n’ont plus de fers ! La génétique ? Je n’y crois pas. Le crack est le crack qu’il soit né aujourd’hui ou il y a 80 ans. Je suis certain que si Uranie ou Jamin revenaient aujourd’hui, ils gagneraient toujours les grandes épreuves. En parallèle, dans le vélo, les gars d’aujourd’hui ne sont pas meilleurs que Jacques Anquetil. L’entraînement, on l’a dit, a été un facteur améliorateur aussi. Mais, vous savez, du temps de Mills, Gaston Roussel, qui entraînait à l’ancienne, avait pratiquement gagné autant de courses que lui à la fin du meeting d’hiver de Vincennes. Et puis, voilà très longtemps, des gars travaillaient déjà les chevaux à la plage, en ligne droite donc.
Alors, tout part de la qualité innée du cheval ?
Bien entendu. Les bons chevaux sont comme les bons chiens de chasse. Et un bon chien de chasse a cela en lui, cet instinct. Un cheval qui a la hargne, la niaque quand il est jeune dans un troupeau, a cela en lui. D’autres non. Ils couchent les oreilles, ne veulent pas trop combattre. Mais le bon cheval a d’entrée des facilités, de bons tissus, de la solidité.
Mais peut-on changer, ou du moins, améliorer le mental d’un cheval ?
C’est tout le travail de l’entraîneur car la vitesse il l’a ou il ne l’a pas, le bon coeur et les poumons aussi. Mais le cheval a une capacité d’adaptation inimaginable. Si tu n’es pas brutal et pas maladroit avec les chevaux, ils s’habituent à tout. Le rôle de l’entraîneur est donc de donner le mental a un cheval qui a des moyens par la façon de le travailler, puis de le mener en course. Car certains chevaux ont beaucoup de puissance mais pas trop de mental. L’entraînement est surtout « psychologique » en fin de compte.
Vous qui avez entrainé et drivé tant de bons chevaux, en avez-vous un exemple ?
J’avais une très bonne jument qui s’appelait Réussite de Rozoy. C’était une sprinteuse qu’il fallait cacher absolument en course. Et ne pas faire un bout dans le parcours, sinon elle n’en faisait pas un deuxième. Ne pas non plus boucher un trou trop vite quand il y avait une accélération, sinon elle vous laissait tomber. Mais, si on arrivait sur les chevaux de tête à l’entrée de la ligne d’arrivée sans qu’elle ait fait d’efforts, attention ! D’ailleurs, je crois bien qu’elle n’a jamais été battue dans ce cas de figure !
Quel est donc le meilleur trotteur que vous ayez entraîné et drivé ?
Queila Gédé était la meilleure. Elle avait une allure plus économique que Khali de Vrie, même si celle-ci était très bonne aussi. Queila Gédé aimait dominer, aller devant. J’ai d’ailleurs remporté le Prix d’Amérique avec elle car j’avais réussi à prendre la tête sans forcer ce jour-là. Et une fois en tête, c’était une sacrée jument. Khali de Vrie était extraordinaire, mais c’était plus une jument de 2 300 mètres que de 2 700 mètres, comme la plupart des produits de Quirinus III.
Et quels autres chevaux de votre écurie vous ont marqué ?
On a parlé de Gardon auparavant. Je me souviens de Fleuronné, avec lequel j’avais gagné le Prix de Paris en faisant un faux train, raccourcissant la distance en fin de compte, car c’était un fils de Quirinus III donc, surtout un cheval de 2 000/2 300 mètres. Or, ce jour-là, c’était sa dernière course. Avant, je l’avais fait mener par mon fils Gilles et mon beau-frère Paul Essartial car le cheval ne voulait plus me voir. Il faisait le service minimum… Mais là, je l’avais repris en main pour la dernière course, et cela avait marché. Je peux aussi citer Képi Vert avec qui j’ai gagné le Prix de Sélection. C’était un cheval de grande classe avec un petit défaut. Il était très autoritaire et j’avais du mal à le « régler ». Ainsi, le jour du Critérium des 4 Ans, j’ai senti aux tribunes qu’il allait « brancher », alors j’ai avancé. Et on a été battus par Kapulco à la fin. Cela dit, Képi Vert était sans doute un petit peu plus brillant que tenace.
Et parmi ceux d’autres entraînements avec lesquels vous avez remporté de grandes épreuves ?
Outre Pinochle qui aimait dominer, je citerais Tiki R, un cheval phénoménal qui, pourtant, n’a pas produit. Tiki R avait battu Toscan dans le Prix de l’Étoile à 4 ans et le record de la piste de Vincennes. Aujourd’hui, il aurait trotté 1’09’’. Mais les courses sont surprenantes parfois car le jour du Prix de l’Etoile, je voulais prendre Toscan de vitesse au départ. Toscan était un cheval de train, dur. En attendant, je ne pensais pas pouvoir le remonter pour finir. Or, au canter (à l’époque il n’y avait pas de heats), j’ai voulu mettre Tiki R « sur la patte » pour démarrer vite et le cheval s’est mis à aller à une vitesse folle. « Quel imbécile », me suis-je dit alors. « Tu lui as fait mal ». Après, je ne pouvais plus démarrer vite et je suis parti… trop doucement, me retrouvant derrière Toscan avec les 3 ans 50 mètres devant nous. Arrivé en plaine, j’ai alors décidé de prendre Toscan de vitesse, de le passer. Et on a gagné. Comme quoi, il y a toujours beaucoup d’improvisation en course. Rien n’est jamais écrit d’avance. Quérido II que j’ai entraîné avec Georges Dreux, lui, était très fainéant. Il fallait le « trainer » tout le temps. En sortant du « Cornulier » qu’il avait gagné en 1967, on s’était imposé dans le Prix de Paris, la course montée l’avait ouvert en quelque sorte. Plus tard, j’ai mené Pontcaral entraîné par Ali Hawas. Il avait une vitesse pure exceptionnelle et m’avait beaucoup impressionné. Cela dit, pour gagner, il fallait qu’il domine, aller tête et corde. Quand j’ai attendu avec lui, on n’a pas gagné. Je dois citer aussi Roquépine et Tidalium Pélo. Mais Henri Levesque ne m’avait confié Roquépine que sur le tard. Elle avait 7 ans et était vieillissante. C’était une championne mais là, elle m’avait fait l’impression d’une jument ordinaire, au contraire de son compagnon d’écurie Vaccarès II que j’ai dû mener deux fois. Or, comme disait Georges Dreux, « il n’y a rien qui ressemble plus à un cheval moyen qu’un bon qui ne veut plus trop ». Jean Mary, lui, m’avait fait mener une fois Tidalium Pélo. On rendait 50 mètres, et le cheval m’avait énormément impressionné. Même si Jean le courait alors surtout monté et cherchait encore son embouchure. Mais quand il l’a trouvée, ils ont gagné deux Prix d’Amérique ! Vous savez, driver pour de grands professionnels était un plaisir. Je me souviens avoir gagné le Prix de Croix avec Quirinus III pour Maurice Sagot, mais j’avais également drivé son propre frère Nautilus G à l’entraînement. Et il m’avait fait une impression formidable. Il était allé gagner le Prix d’Europe à Milan avec Maurice et fut vendu aux Italiens juste après. Sa propriétaire leur avait fait un prix énorme, croyant qu’ils ne suivraient pas, mais les Italiens avaient dit oui ! Comme quoi, les champions, on croit les vendre cher, et en fin de compte on les donne ! Nautilus G revint ensuite en France gagner le Critérium des 4 Ans, mais il devait mourir peu après.
Et quel est le cheval que vous ayez vu qui vous a fait la plus forte impression ?
Je n’ai pas connu Uranie mais les anciens l’ayant vue courir n’avaient que son nom à la bouche. Moi, ce serait Buffet II, incontestablement. C’était un phénomène mais fragile, il ne courait que sur sa classe. Un jour, j’arrive trop tard à Vincennes pour le voir courir, mon père discutait à la sortie avec Henri Hellard. Je les entends dire : « On n’a pas vu cela depuis Uranie ». Car Buffet II venait de laisser Une de Mai à 25 mètres dans le Prix René Ballière ! Varenne m’a aussi beaucoup impressionné. Maintenant, à la fin, comme il n’avait plus rien à prouver, ils ont voulu battre des records avec lui. Or, courir contre le chronomètre, c’est le plus dur. Et pour finir, le cheval a été battu au Canada car il n’était plus lui-même.
Aujourd’hui, vous avez 84 ans (NDLR : 87 ans aujourd'hui) et toujours la passion, c’est beau. Cela ne vous manque plus de ne plus driver ?
Quand j’ai dû arrêter à 70 ans, cela m’a fait mal. Mais après, comme ma vue a beaucoup baissé, je me suis dit qu’en fin de compte, ils m’avaient rendu service. En arrêtant, j’ai pu aussi plus suivre mes petits-enfants. Aujourd’hui, ils ont changé le règlement, Jean-Pierre Dubois peut encore driver. Et il est toujours performant. Il ne faut surtout pas qu’il arrête ! Moi, je me soigne en gardant quelques chevaux à l’entraînement. Je suis devenu « un bien portant imaginaire » car si je reste chez moi, j’ai mal partout. »
Propos recueillis par Jacques Pauc
Charley Mills : « La ferrure est la chose la plus importante avec le trotteur »
Charley Mills ayant été un exemple pour Roger Baudron et pour beaucoup d’autres professionnels (Jean René Gougeon, Jean Riaud, Marcel Perlbarg, Georges Dreux, Henri Levesque, Ali Hawas, Louis Boulard, Johannes Frömming, Kurt Hormann, Hans Sasse, etc…), on citera pour finir des extraits sur l’entraînement du livre qu’il avait commencé à écrire avant de mourir en 1972.
Charley Mills, dont Georges Dreux avait dit « c’est le meilleur entraîneur du monde, on peut le copier mais pas l’égaler. Et tout ce dont il se sert se trouve dans une sellerie. (…) Il a d’abord entrainé en Allemagne, et les trotteurs allemands sont devenus très bons. Même chose ensuite en Autriche, puis, plus tard, en France, ayant été partout tête de liste. Demain, si Charley Mills allait s’installer au Kamtchatka, le Kamtchatka aurait les meilleurs trotteurs du monde ».
Charley Mills avait donc écrit en 1965 : « Chaque athlète est entrainé au maximum de ses possibilités, c’est la même chose avec les chevaux (…) La ferrure est la chose la plus importante avec le trotteur. Il y a de très bons maréchaux-ferrants en France, certains sont de véritables artistes, mais pas un ne pourra ferrer un cheval convenablement si l’entraîneur n’est pas capable de lui expliquer la ferrure qu’il désire, comment couper les pieds, etc…Tous les trotteurs se touchent les postérieurs à l’intérieur à vitesse maximum, et il n’y a aucun doute que le coup est beaucoup plus fort avec le poids (du fer) vers l’avant (…)
Je n’ai JAMAIS entraîné un cheval pour voir à quelle vitesse il pouvait aller sur la distance d’une course. Je leur ai toujours donné deux à trois heats de 2 000 mètres en les laissant aller le dernier kilomètre et plus vite les derniers 500 mètres. Cela leur donne de la vitesse et les tient frais, alors que sur toute la distance, cela les fatigue. La vitesse vous amène à faire la distance. Gélinotte était très difficile au début, très nerveuse à l’entraînement (…) Lors de ses jours de travail, je devais la sortir deux fois, trois même, et parfois quatre fois, pour des exercices que je ne faisais pas vite, cela lui donna confiance et la calma.
J’ai découvert pendant ma longue carrière que beaucoup de chevaux qui étaient très difficiles à entraîner sont devenus des chevaux de premier ordre, alors que ceux qui ne donnent aucun mal ne s’améliorent pas autant que ceux sur lesquels on doit continuellement s’acharner (…) Pendant la première guerre mondiale, étant sujet irlandais, je fus mis dans un camp de concentration à Berlin sur l’hippodrome avec 4 000 autres en 1914. Avec l’aide de quelques personnes bien placées, je pus en sortir avant la fin de la guerre. Mais je ne pouvais pas courir en Allemagne. Je pus aller en Autriche avec trois chevaux et eu pas mal de succès. »
Un jour, un propriétaire lui amène huit chevaux, dont Baka, alors boiteux, qui devait se faire opérer des épaules. Charley Mills racontera ensuite : « Après avoir vu le cheval, je dis au propriétaire de me laisser Baka une dizaine de jours. Ses pieds étaient trop longs de 5 ou 6 centimètres devant, une habitude répandue à l’époque, y compris chez les entraîneurs américains (qui étaient une dizaine à Vienne). Le cheval ne fut plus jamais boiteux ».
Mills lui avait fait couper les pieds comme il voulait et mettre une nouvelle ferrure. Avec Baka (cheval hongrois d’origine américaine), il gagna le Derby, puis le cheval devint un grand étalon. Une autre fois, Mills dira au sujet de Sammy et de Pinochle : « Sammy n’avait pas beaucoup de stamina (de coeur au ventre), mais avec sa vitesse et beaucoup de travail lent, il pouvait faire n’importe quelle distance (N.D.L.R. : il gagna le Prix des Meilleurs et détint le record de France de vitesse) (…) Pinochle était une excellente jument, mais elle souffrait souvent de seimes et avait un mauvais tendon. Elle ne pouvait plus tenir l’entraînement. Un jour, M. Gaskell, son propriétaire, vint la voir travailler à Chamant. Elle rentra boiteuse de son premier heat. Elle avait de nouveau une seime (…) Je l’amenais à mon maréchal-ferrant et lui fit couper le pied tout autour afin que la seime soit à vif. Cela saignait un peu en la ramenant au box mais elle ne boitait plus car il n’y avait plus de pression. M. Gaskell pensait qu’elle en avait pour trois mois (…) Je lui mis un médicament pour calmer la douleur locale, puis je dis aux lads que j’allais la retravailler. Je pouvais voir sur leurs visages que tous pensaient que j’étais devenu fou (…) Trois jours après, Pinochle gagnait le Prix des Centaures montée par Marcel Perlbarg. »
Par Jacques Pauc
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